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Article publié dans la revue LAVE N°155

Le Vésuve avant Pompéi

Jean- Claude TANGUY

Institut de Physique du Globe de Paris

[ L'exposition du musée Maillol sur Pompéi (LAVE n° 154) a présenté des documents archéologiques de grand intérêt, mais elle n'aborde pas le côté volcanologique : quelle était la forme du Vésuve avant 79, depuis combien de temps était-il inactif, comment s'est déroulée la fameuse éruption qui a anéanti les villes romaines ?]

        

        Des progrès considérables ont été faits ces dernières années, modifiant profondément les vieux schémas qui continuent de resurgir ça et là : «le Vésuve avant Pompéi était éteint depuis plus de trois mille ans», «le cône était simple et atteignait une hauteur de 3 000 m», «des torrents de boue ont englouti Herculanum, les gens ont été asphyxiés par les gaz toxiques», etc. (propos entendus lors de la visite de l'exposition).

1.  Evolution du Somma-Vésuve entre les éruptions d'Avellino et l'époque actuelle
(Cioni et al., 1999).

Le repos du Vésuve avant 79

        L'éruption plinienne d'Avellino, que des datations au radiocarbone très discordantes placent entre 3360 et 3960 ans BP, correspond en fait à des âges calibrés («cal») de 3600 à 4410 ans BP (Cioni et al., 2008; Santacroce et al., 2008). Elle vient d'être redatée à 1995 ± 10 ans BC cal(Sevink et al., 2011). C'est par une interprétation erronée de l'une ou l'autre de ces datations, ajoutée à la confusion entre BP et BC, que des auteurs mal informés ont pu dire : «le Vésuve n'avait pas connu de réveil depuis 3500 avant J.-C.» (Historia n° 748, avril 2009). C'est surtout ne pas prendre en compte l'activité du volcan postérieure au cataclysme d'Avellino : une demi-douzaine de ces éruptions plus modestes, dénommées AP 1 à AP 6 (Andronico et Cioni, 2002) ont été cependant assez puissantes pour être identifiées par leurs dépôts. Il faut d'ailleurs souligner que deux d'entre elles avaient été reconnues depuis longtemps sur des bases archéologiques et datées approximativement entre 1045 et 800-700 BC (Albore-Livadie et al.,1986). Cette dernière éruption correspond probablement au niveau AP 3 daté au 14C à 2830 BP ± 50 cal (soit 880 BC), et il est intéressant de noter qu'elle a été suivie de peu par la fondation de Pompéi. Mais les trois autres (AP 4, 5, 6) ont forcément eu lieu alors que cette ville était déjà prospère, expliquant sans doute les allusions à des «feux anciens» semblables à ceux de l'Etna par Diodore de Sicile, Vitruve et Strabon. Ces éruptions mineures n'étaient cependant pas dévastatrices et n'ont pas durablement troublé les activités humaines. Selon Andronico et Cioni (2002), AP 6 pourrait correspondre à l'éruption mentionnée par Silius Italicus dans son poème sur la 2ème guerre punique (217-216 avant J.-C.) : «le Vésuve tonna et répandit ses feux sur la contrée avoisinante». Mais ce texte peut n'être qu'un anachronisme inspiré par la catastrophe de 79, dont Silius Italicus était contemporain. Quoi qu'il en soit, la durée du repos avant l'éruption de Pompéi a été comprise entre trois et moins de huit siècles.

        

2.  Le golfe de Naples et les villes mentionnées lors de l'éruption de 79 (doc. N.A.S.A.)

Cône simple ou double ?

        La forme du cône, à cette époque, était-elle différente de la double cime actuelle ? Il est certain que son altitude, en tout cas, ne dépassait pas de beaucoup mille mètres car l'édifice de l'ancien Vésuve avait déjà été «décapité» par plusieurs éruptions pliniennes. Cet ancien cône est aujourd'hui représenté par le mont Somma (1132 m). Le terme de Somma n'existe toutefois que depuis le début du Moyen Age, quand le bord le plus élevé de la caldera de 79 représentait en effet le «sommet» du volcan, avant la reconstruction du Grand Cône. Mais dans l'antiquité comme aujourd'hui, l'ensemble du volcan a toujours été appelé Vésuve. On admet généralement que la forme de l'ancien Vésuve était simple, en se basant sur un dessin trouvé dans les ruines et qui représente un seul cône. Cet argument est de peu de poids, car aujourd'hui encore le volcan vu du Sud apparaît avec un seul sommet. Comme l'éruption d'Avellino a été suivie par plusieurs autres, il est vraisemblable que celles-ci ont reconstruit un cône interne, sans doute assez différent de celui que nous connaissons actuellement. Il est à noter que des auteurs anciens antérieurs à 79 parlent du Vésuve comme s'il était à la fois double et peu élevé : «le joug vésuvien (Virgile, jugum Vesevum), les collines du Vésuve (Columelle, colles Vesuvii) ».

        

3.  Victimes brûlées et ensevelies dans la coulée pyroclastique à Herculanum (les os carbonisés attestent de la haute température)
Photo © J.-C. Tanguy

L'éruption de 79

        Lacroix (1908) avait rediscuté la destruction de Pompéi après celle de Saint-Pierre en Martinique. Malgré quelques hésitations, il avait à l'époque écarté la possibilité de nuées ardentes : on ignorait alors que les nuées ardentes (ou coulées pyroclastiques) peuvent être aussi générées en fin d'éruption, par effondrement d'une colonne plinienne. C'est peut-être ce qui explique pourquoi l'éruption de 79 a été si longtemps mal interprétée. Il a fallu attendre la reconstitution magistrale de Sigurdsson et al. (1985) pour avoir une vision claire sur la marche des événements.

        Le séisme du 5 février 62 (ou 63, le doute subsiste sur l'année) était sans doute un signe précurseur de l'éruption, car la mort de six cents moutons rapportée par Sénèque peut s'expliquer, selon Sigurdsson, par des émanations de CO2 à ras de terre (c'est d'ailleurs ce que dit Sénèque : «l'air vicié par les feux intérieurs de la terre souille et infecte notre atmosphère [...] je ne m'étonne pas que les moutons, ayant la tête près du sol, soient atteints par ces émanations pernicieuses »).

        

4.  Carte des retombées de ponces en 79, épaisseurs en cm
(Sigurdsson et al., 1985)

5.  Extension des nuées ardentes (surges) en 79
(Sigurdsson et al., 1985)

        

        L'éruption de 79 est rapportée par Pline le Jeune qui en indique le jour et même l'heure (le neuvième jour avant les calendes de septembre vers la septième heure, soit le 24 août vers 13 h). Mais l'activité a dû en fait commencer dans la matinée. En effet, c'est en début d'après-midi que Pline l'Ancien, oncle du précédent et commandant la flotte romaine basée à Misène, reçoit un appel de détresse qui a mis nécessairement plusieurs heures pour lui parvenir. A ce moment, la colonne éruptive en forme de pin est largement développée, le vent souffle du Nord-Ouest et une grêle de ponces s'abat sur la partie orientale du golfe. Pline l'Ancien ne peut aborder à Herculanum à cause de «hauts-fonds subits», en réalité des bancs de ponces flottants, et il gagne Stabies où il retrouve son ami Pomponianus. Dans la nuit on voit «en plusieurs endroits du mont Vésuve des flammes très larges et de grands incendies», les retombées de ponces commencent à bloquer les issues des maisons, ce qui décide Pline et ses amis à la fuite. C'est à ce moment, très tôt le matin du 25, qu'apparaît «un nuage noir et effrayant se répandant sur la terre comme des torrents». Ce nuage correspond à la plus grande des déferlantes pyroclastiques, celle dont le front extrême atteint Stabies et cause la mort de Pline l'Ancien, non point par des gaz toxiques (dans ce cas ses compagnons seraient morts aussi), mais par suffocation dans une atmosphère surchargée de poussières : Pline l'Ancien, d'après son neveu, souffrait en effet de troubles respiratoires. Toutes les victimes retrouvées à Herculanum et Pompéi l'ont été dans les niveaux de cendres fines déposées par les déferlantes pyroclastiques (pyroclastic surges). On peut donc supposer que beaucoup d'habitants ont eu le temps de s'enfuir pendant la première phase de l'éruption caractérisée par les chutes de ponces.

        

6.  Pompéi et le Vésuve à l'époque actuelle
Photo © J.-C. Tanguy

        

        Pour terminer, notons que la date de l'éruption a été récemment remise en question par la découverte de monnaies dans les ruines et qui n'auraient été fabriquées qu'en octobre ou novembre 79. Il est difficile d'imaginer que Pline le Jeune ait confondu l'été avec l'hiver, même s'il a écrit ses lettres longtemps après les événements, mais il n'indique pas l'année : l'éruption de 79 aurait-elle donc eu lieu en 80 ou même 81, comme l'ont mentionné certains auteurs ? La question reste ouverte.

        

7.  Herculanum de nos jours
Photo © D. Decobecq

        

Références

— ALBORE-LIVADIE C. ET AL., 1986 - Tremblements de terre, éruptions volcaniques et vie des hommes dans la Campanie antique. Centre Jean Bérard, Institut Français de Naples, pp. 55-66.
— ANDRONICO D., CIONI R., 2002 - Contrasting styles of Mount Vesuvius activity between the Avellino and Pompeii Plinian eruptions. Bull. Volcanol. 64, 372-391.
— CIONI R., SANTACROCE R., SBRANA A., 1999 - Pyroclastic deposits as a guide for reconstructing the multi-stage evolution of the Somma-Vesuvius caldera. Bull. Volcanol. 61, 207-222.
— CIONI R., BERTAGNINI A., SANTACROCE R., ANDRONICO D., 2008 - Explosive activity and eruption scenarios at Somma-Vesuvius: towards a new classification scheme. J. Volcanol. Geotherm. Res. 178, 331-346.
— LACROIX A., 1908 - La Montagne Pelée après ses éruptions, avec observations sur les éruptions du Vésuve en 79 et en 1906. Masson, Paris, 136 p.
— SANTACROCE R., CIONI R., MARIANELLI P., SBRANA A., SULPIZIO R., ZANCHETTA G., DONAHUE D.-J., JORON J.-L., 2008 - Age and whole rock-glass composition of proximal pyroclastics from the major explosive eruptions of Somma-Vesuvius. J. Volcanol. Geotherm. Res. 177, 1-18.
— SEVINK J. ET AL., 2011 - Robust date for the Bronze Age Avellino eruption (Somma-Vesuvius). Quaternary Science Reviews, 1-12.
— SIGURDSSON H., CAREY S., CORNELL W., PESCATORE T., 1985 - The eruption of Vesuvius in A.D. 79. National Geogr. Research 1, 332-387.
— voir aussi le chapitre «Vésuve» du Dictionnaire des volcans, www.editions-gisserot.eu

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