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Article publié dans la revue LAVE N°210

Les bois carbonisés d’Herculanum

Dominique DECOBECQ

Le site d’Herculanum, pourtant proche de Naples, est moins connu que Pompéï ce qui en fait son charme car sa fréquentation touristique reste encore raisonnable. Herculanum a la particularité d’être sous une ville moderne et c’est la seule cité du monde romain où ont été préservés son ancien front de mer et des maisons sur plusieurs étages. L’éruption du Vésuve a aussi conservé les bois des charpentes, des portes, des meubles, des barques... toute une connaissance sur la technicité des charpentiers, menuisiers et ébénistes.

1.  La cité antique d’Herculanum sous la ville actuelle
image © Dominique Decobecq

        En regardant les objets carbonisés dévoilés à l’exposition présentée au Palais royal de Portici (près d’Herculanum) et organisée par le directeur du parc archéologique d’Herculanum, Francesco Sirano et par l’archéologue Stefania Siano, on imagine le travail de patience des archéologues. qui ont sauvegardé ces noires reliques. Leur travail minutieux de restauration a permis de récupérer des objets précieux qui n’apparaissaient, au premier abord, que comme du bois carbonisé parfait pour un barbecue.

L’exposition au Palais royal de Portici

        Si des papyrus décrivent l’administration romaine, il n’existe pas de précis sur les techniques des charpentiers et menuisiers. Dans une salle de l’exposition nous découvrons, grâce aux archéologues, que les outils des menuisiers d’Herculanum n’étaient guère différents de ceux utilisés aujourd’hui : la hache, la scie, la perceuse, le compas, le rabot, l’équerre, le marteau, le niveau et le fil à plomb, le ciseau, la lime et la râpe sont quasiment identiques. Les objets en bois issus des fouilles d’Herculanum permettent de révéler aussi les techniques de fabrication des escaliers, des portes, des encadrements des fenêtres, des cloisons, des faux plafonds, des meubles (armoires, coffres, lits, tables, sculptures...) avec la conservation des décors sculptés.

        Ainsi, la mortaise et le tenon étaient employés fréquemment pour les assemblages et des clous et de la colle étaient aussi utilisés pour fixer certains joints.

        Une salle de l’exposition est consacrée ainsi au faux plafond en bois en caisson de la Casa del Rilievo di Telefo, d’où proviennent environ 250 fragments (presque tous en sapin blanc – Abies alba), incroyablement préservés de l’éruption. Ce bois conserve même des traces de pigments colorés et il apparaît que l’élément central de ce faux plafond était recouvert de feuilles d’or.

2.  Poutre carbonisée d’une des maisons d’Herculanum.
image © Dominique Decobecq

3.  Embrasure de fenêtres dans une maison d’Herculanum.
image © Dominique Decobecq

4.  Les restes carbonisés d’une des barques d’Herculanum.
image © Dominique Decobecq

        L’exposition présente aussi une barque accompagnée d’un treuil vertical et d’une étrave. La coque de cette barque partiellement conservée, mesure 2,8 m de long pour 1,18 m de large, mais ses proportions suggèrent que les dimensions étaient à l’origine plus grandes. Cette barque de pêcheur fut découverte dans les années 1990 dans la zone proche du complexe thermal de l’Insula au nord-ouest d’Herculanum.

        A côté du bateau a été placée une proue en bois en forme de tête de serpent peinte en rouge, comparable à celles visibles sur les fresques pompéiennes. Un « cabestan» servant à remonter les bateaux à terre est également présenté.

        Au moment de l’éruption, selon les nombreuses découvertes, les thermes étaient utilisés comme lieu de stockage de bateaux et de matériel lié aux activités maritimes.

        Une salle présente aussi des objets du quotidien romain: un berceau, un autel, des sculptures, le cadre d’un lit...

5.  Statuette d’une figure humaine. maison de l’atrium en mosaïque- Insula IV, Herculanum.
image © Dominique Decobecq

6.  Armature de lit. Dans une boutique de l’Insula Orientalis II, 10, Herculanum.
image © Dominique Decobecq

7.  Ce berceau a été découvert dans une pièce où ont été trouvés les squelettes de cinq adultes. A l’intérieur du berceau ont été retrouvés des restes de tissu, appartenant à un matelas rempli de feuilles, sur lequel un minuscule squelette était posé. Les pieds du berceau reposent sur deux éléments en demi-lune qui lui permettent de basculer d’une légère pression. Maison de Marcus. Pilius Primigenius Granianus, Insula I, 1a Herculanum.
image © Dominique Decobecq

8.  Petit meuble surmonté d’un lararium ou laraire, un petit autel domestique dévoué au culte des Lares, les dieux du foyer. La partie basse avec ses quatre vantaux a été partiellement reconstituée. Deux statuettes ont été retrouvées dans ce lararium: Hercule et une divinité féminine, peut-être Vénus. Maison du Salone Nero, Insula Herculanum.
image © Dominique Decobecq

9.  Gros plan sur une fresque avec un bateau semblable à celui qui fut carbonisé à Herculanum. Musée d’archéologie nationale de Naples. Fresque d’Herculanum.
image © Dominique Decobecq

Résumé de l’éruption

        Ces bois carbonisés sont utiles aussi pour les volcanologues car ils sont des témoins précieux pour reconstituer le scénario de l’éruption du 24 octobre 79 apr. J-C du Vésuve (voir l’article de Pippo Scarpinati dans la revue LAVE 194).

        Plusieurs grandes phases, à la suite de nombreuses études stratigraphiques en corrélation avec la description de Pline le Jeune, ont été distinguées durant ce paroxysme qui aurait duré une vingtaine d’heures (selon la lettre de Pline le Jeune).

        Première Phase (EU1)

        La première phase se caractérise par un dépôt (sur un paléosol) de quelques centimètres de cendres avec des lapilli d’accrétion qui témoignent d’une éruption phréatomagmatique. Ce dépôt (dénommé EU1 – pour eruption unit), par sa faible épaisseur, est difficile à retrouver à moins d’une coupe franche et récente. Elle ne se retrouve pas à Herculanum, pourtant proche du Vésuve. Cette première phase a dû inciter les habitants les plus observateurs de s’éloigner de cette montagne ignivore.

        

        Deuxième phase (EU2)

        C’est la phase magmatique plinienne avec une colonne de ponces qui s’éleva à une hauteur de 14 à 27 km. Elle est principalement constituée de retombées de pierre ponce blanche (phonolite).

        Ce dépôt est trié avec des ponces de tailles importantes à la base puis des éléments de plus en plus fins vers le haut de cette série avec parfois une stratification inverse. Par ailleurs, la taille moyenne des particules de ce dépôt diminue quand on s’éloigne du cratère du Vésuve et la dispersion des cendres montre l’effet du vent dominant qui soufflait alors vers le Sud-Est (vers Pompéï). Ces retombées (avec une épaisseur d’environ 1 m) ont rapidement entraîné l’effondrement des toitures des maisons et villas de Pompéï et les premières victimes. La durée de cette deuxième phase est estimée entre 7h et 9h.

        

        Troisième phase

        Au cours de la soirée du 24 octobre, les retombées de lapilli de pierre ponce deviennent grises (téphrite-phonolitique) et se produisent les premières coulées pyroclastiques (nuées ardentes) à la suite d’effondrements partiels de la colonne plinienne. Ces premières coulées pyroclastiques ont été retrouvées à Herculanum, Oplontis (avec la villa de Poppée) et Stabiae. Elles ont été décrites par Pline le Jeune comme «... la nuée s’abaisse sur la terre, et couvre les mers ...»

        Ces premières coulées pyroclastiques (désignées EU2/3pf, mais dénommées aussi S1) dévalent sur Herculanum qu’elles recouvrent très rapidement avec des débris de construction (tuiles, colonnes et bois des édifices). A l’entrée de l’entrepôt portuaire de Fornici son épaisseur varie de 35 à 60 cm, alors qu’à l’intérieur des hangars du port elle a atteint 150 cm. C’est une nuée ardente d’effondrement de la colonne plinienne avec des ponces fines, très différente des nuées ardentes d’effondrements de dômes avec des dépôts plus hétérogènes.

        C’est cette nuée ardente qui sera mortelle et les squelettes d’environ 300 personnes, qui avaient cherché refuge dans les hangars de Fornici et sur la plage, ont été exhumées de cette cendre fine. En revanche, dans la cité, n’ont été découverts que quelques dizaines de victimes, ce qui témoignerait que la ville avait été abandonnée par la plupart des habitants dès le début de l’éruption. En revanche, pas encore de nuées ardentes sur Pompéi.

        Cette couche (EU2/3pf – S1) est ensuite recouverte d’une couche massive de cendre et de pierre ponce grise (environ 70 à 100 cm d’épaisseur) incorporant des fragments de bois carbonisés et des débris archéologiques. Elle correspond à la couche EU3 ou S2.

        Au-dessus de ces séquences pyroclastiques c’est une succession de tuf à lapilli avec une matrice de cendres riche en lave et en enclave de roches sédimentaires, avec des passages révélant des niveaux de phases magmatiques ou phréatomagmatiques, qui progressivement enfouirons la ville (EU4).

        

Figure 1.  Coupe synthétique des retombées volcaniques à la suite de l’éruption de 79 apr. J.-C. D’après cioni et al. (1999).
Selon les sites les épaisseurs seront très différentes et parfois des niveaux de retombées peuvent être inexistants.

Fig 1.  

        EU1 : Retombées de cendres.

        EU2 : Colonne plinienne et retombées de ponces blanches.

        EU2/3Pf : Coulées pyroclastiques qui atteignent Herculanum.

        EU3 : Retombées de ponces grises et coulées pyroclastiques généré par l’effondrement partiel de la colonne plinienne.

        EU4 : Début de la phase d’effondrement de la caldeira.

        EU5 : Coulées pyroclastiques d’origine phréatomagmatiques.

        EU6 : Fin de la phase d’effondrement de la caldeira. coulées de débris dans certaines vallées rayonnantes du Vésuve.

        EU7 : Coulée pyroclastique de haute énergie, sur le sud et l’est du volcan.

        EU8 : Phase terminale de nature phréatomagmatique.

        

        Quatrième phase

        La phase finale se caractérise d’abord par le retour d’une colonne plinienne, qui rapidement s’effondre à nouveau avec des coulées pyroclastiques radiales (EU5) qui remplissent les vallées du volcan.

        C’est ensuite l’effondrement de la caldeira avec des dépôts (EU6) de coulées de brèches grossières riches en enclaves énallogènes (les enclaves énallogènes, sont des roches sans rapport de composition minéralogique ni d’origine avec la roche volcanique englobante).

        Une nouvelle coulée pyroclastique se met en place, puis d’autres plus petites coulées pyroclastiques et l’éruption se termine aussi vite qu’elle est apparue (EU7) avec une phase phréatomagmatique (EU8).

        

10.  Les hangars de Fornici (Herculanum) avec les victimes.
image © Dominique Decobecq

Tableau 1.  Répartition des victimes recensées en 2019 à la suite de l’éruption de 79 apr. J.-C. d’après r. scandone et al. (2019). Il apparaît que les victimes ont été retrouvées essentiellement dans les maisons : asphyxiées par les ponces et enfouies sous le poids des ponces et des toits effondrés. Les personnes retrouvées dans les hangars d’Herculanum avaient choisi d’attendre, en vain, une fuite par la mer.

Analyse des bois carbonisés

        Les études récentes sur les bois carbonisés d’Herculanum lors de l’éruption du Vésuve en 79 apr. J.-C. ont montré que la première coulée pyroclastique qui est entrée dans la ville fut brève, mais avec des températures de 555 à 495 °C. C’est elle qui est responsable de la mort instantanée des personnes encore présentes, comme au port d’Herculanum. Elle ne laissera que quelques décimètres de cendres au sol.

        Les coulées pyroclastiques suivantes qui ont progressivement recouvert la ville d’Herculanum étaient à des températures plus basses, entre 465 et 390 et 350–315 °C.

Références bibliographiques

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