Article publié dans la revue LAVE N°215 - septembre 2024
Onze maquettes de volcans
pour confronter leurs caractéristiques
Jean-Claude LELOUP
1. Maquettes de onze volcans
image © Jean-Claude Leloup
DES FABRICATIONS MINUTIEUSES ET FIDELES
J’ai réalisé avec plaisir ces dernières années onze maquettes de volcans dont quelques-uns m’ont rappelé des moments de vie passionnants et un grand bien-être lorsque j’avais eu l’occasion de fouler leur sol. Le choix des sites reproduits a porté cependant principalement sur leur aspect grandiose pour certains et sur leur réputation pour d’autres. Pour ce travail, la même échelle a été appliquée à chacun d’entre eux permettant ainsi de mieux comparer leurs volumes respectifs.
Pour leur réalisation, il a fallu d’abord relever sur internet les cartes topographiques indiquant chaque courbe de niveau. Pour chacun de ces niveaux, une découpe dans une planche de bois a été réalisée puis leur empilement a permis de donner la physionomie générale du volcan. Une couche de plâtre renforcé par de la colle blanche a été appliquée pour lisser la surface. Enfin, à partir de photographies prises en altitude visualisant les couleurs de la végétation et des sols et roches, une couche de peinture a permis la mise en couleur de la maquette. 30 à 40 heures de travail ont été nécessaires pour chacune des maquettes.
Dans le futur, ce type de réalisation devrait être (et est probablement déjà) possible grâce à des imprimantes 3D à condition de transcrire les cartes topographiques en programme informatique mais le travail du bois reste une bonne distraction qui apporte satisfaction et détente. L’échelle appliquée pour ces maquettes a été de 1 cm pour 200 m de distance et 0,75 cm pour 100 m d’altitude, ce qui amène les plus grandes maquettes à 90 cm de côté représentant 18 km de longueur.
2. Première étape : relevé carte topographique (exemple du Rinjani).
image © Jean-Claude Leloup
3. Deuxième étape : empilement des feuilles de bois pour chaque niveau altimétrique.
image © Jean-Claude Leloup
4. Troisième étape : enduction de plâtre et de colle.
image © Jean-Claude Leloup
5. Quatrième étape : peinture conforme aux photos aériennes.
image © Jean-Claude Leloup
6. Le Rinjani vu de la Station spatiale internationale, avec le nord en haut, la caldeira de Segara Anak de 6 × 8,5 km et le cône de Barujari au centre et le sommet du Rinjani, à droite.
Source : Global Volcanism Program, Image GVP-11460, NASA International Space Station image ISS005-E-15296, 2002.
CINQ CALDEIRAS TRES COMPARABLES MAIS SI DIFFERENTES
Ces maquettes illustrent une bonne partie des reliefs nés des principaux phénomènes volcaniques et en particulier les plus spectaculaires. C’est pourquoi plusieurs d’entre elles représentent des volcans ayant donné naissance à des caldeiras à la suite d’éruptions majeures. Des fils métalliques ont parfois été posés pour représenter la forme du volcan avant ces éruptions, lorsque les informations disponibles étaient suffisamment précises et sûres. Les caldeiras sont généralement consécutives à l’effondrement du volcan dans la chambre magmatique, à la suite de la vidange de celle-ci lors d’une éruption majeure. Cependant certaines caldeiras ont pour origine une explosion gigantesque qui pulvérise alors le volcan et laisse une cicatrice géante comme ce fut le cas pour le Rinjani en Indonésie.
Il faut noter que la profondeur des caldeiras représentées par ces maquettes pour le Santorin, le Krakatoa et Crater Lake sont très proches de celle du Tambora contrairement aux apparences. Effectivement, si le Tambora comporte des falaises de 1000 à 1400 m de haut, le Santorin ne présente des falaises émergées que de 340 m de haut au plus mais elles se poursuivent sous le niveau de la mer à une profondeur de 400 à 500 m, ce qui représente au total 840 m pour les plus importantes. Le Krakatoa et Crater Lake se trouvent dans la même configuration avec des falaises respectivement jusqu’à 1050 et 1150 m depuis le fond de l’eau. Ces trois dernières caldeiras comportent chacune un cône à peine émergé, respectivement de 134 m pour le Santorin, 338 m (avant 2018) pour le Krakatoa et 234 m pour Crater Lake. Cependant, leur hauteur totale prenant en compte la base immergée, s’élève respectivement environ à 600 m, 890 m et 700 m, correspondant à des édifices imposants. Le Rinjani et son cône actif se trouvent dans des configurations tout à fait comparables.
Bien au-delà de ces dimensions, il existe également sur terre quelques rares caldeiras gigantesques résultant de super éruptions avec un VEI maximum de 8, mais dont les maquettes auraient été difficiles à loger dans une maison. Les trois plus grandes de ces temps récents sont : celle du Yellowstone aux États-Unis (85 km × 45 km) survenue il a environ 640 000 ans, la caldeira du lac Toba à Sumatra en Indonésie (100 km × 35 km) survenue il y a environ 74 000 ans et la caldeira du Taupo en Nouvelle-Zélande survenue il y a environ 26 000 ans.
Les volcanologues ont toujours fait un lien étroit entre les dimensions des caldeiras et celles des chambres magmatiques situées en dessous, principalement pour apprécier leur étendue et délimiter leur contour ainsi que pour recueillir des informations sur leur volume global. Pour les chambres magmatiques actuellement connues, d’autres méthodes scientifiques beaucoup plus précises existent aujourd’hui pour recueillir et modéliser ces données.
Lors de la formation de ces caldeiras anciennes, logiquement l’effondrement se fit à la verticale pour venir combler le volume libéré par l’éruption. Si le volume des matériaux éjectés peut être supérieur au volume de l’effondrement à cause des remontées au cours et après l’éruption depuis les chambres inférieures, en général lors d’une éruption majeure, la chambre magmatique se vide assez largement. Elle sera donc en mesure de recevoir un volume de matériaux en rapport avec le volume éjecté précédemment. Ce volume pourra donc être estimé des milliers d’années après, par les dimensions de la cicatrice laissée en surface de la terre.
Les volcanologues mènent une deuxième démarche pour estimer les matériaux éjectés, en mesurant l’épaisseur des cendres déposées autour du volcan jusqu’à des distances considérables pour les éruptions majeures. Cela nécessite un nombre de mesures important et un travail considérable d’identification pour obtenir des résultats fiables. De nombreuses estimations ont été rectifiées au cours des dernières décennies avec l’accumulation de données de plus en plus fiables. Il est nécessaire par ailleurs de bien interpréter les chiffres car les cendres expulsées non compactées peuvent représenter un volume largement supérieur à celui occupé avant l’éruption dans la chambre magmatique. Les valeurs obtenues sont alors rapprochées des dimensions de la caldeira.
Le tableau 1 donne pour différentes éruptions majeures des volcans maquettés, la quantité de cendres éjectées, estimée par les volcanologues, la puissance de l’éruption, ainsi que le volume grossièrement évalué sur les maquettes, de la partie du volcan d’origine disparue, délimitée par les fils métalliques. La puissance d’une éruption mesurée à l’aide de l’indice d’explosivité volcanique (Volcanic Explosivity Index ou VEI) est notée sur une échelle de 0 à 8. L’élévation d’un niveau sur l’échelle correspond à une multiplication par 10 (échelle logarithmique) du volume de matériaux éjectés. On peut donc observer sur le tableau qui n’est qu’approximatif, que d’une façon générale le volume effondré est toujours inférieur au volume éjecté. Par ailleurs, si les cinq caldeiras comportent une surface assez voisine, la profondeur de ces caldeiras est également tout à fait comparable. Il faut noter également que lorsqu’il s’agit d’un effondrement latéral, comme par exemple pour le mont Saint Helens, il n’y a bien sûr plus de corrélation avec la chambre magmatique.
L’éruption du Rinjani en 1257, très probablement à l’origine du petit âge glaciaire, est décrite dans la littérature avec un VEI compris entre 6 et 7, donc d’une puissance inférieure à d’autres éruptions citées dans ce tableau. N’ayant pas accès aux documents scientifiques, il m’a été parfois difficile d’avoir un avis comparatif précis.
A titre d’exemple, un VEI de 7 correspond à une éjection supérieure à 100 km3 de téphra, c'est-à-dire de matières aérées. Lorsque les valeurs de matières éjectées sont proposées dans la littérature, il est parfois impossible de savoir s’il s’agit de matières aérées ou compactes et donc beaucoup plus denses. Le tableau prend en compte exclusivement des matières compactes. Par ailleurs, si certaines éruptions évoquées semblent plus importantes, en particulier dans la durée, la violence instantanée de l’explosion du Rinjani a pu projeter dans la stratosphère de gros volumes de cendres. C’est également ce volcan qui dégagea les grandes quantités de gaz, notamment du dioxyde de soufre et des gaz chlorés, qui impactèrent la stratosphère.
Enfin, lors d’une réunion de la délégation L.A.V.E. Paris Île-de-France en novembre 2023, j’ai eu le plaisir de présenter et commenter ces maquettes devant vingt-cinq participants très attentifs et aussi très enthousiastes. Merci pour leur accueil !
Tableau 1. Données numériques de quelques éruptions majeures. Sont figurées en bleu les éruptions historiques documentées.
7. Présentation des maquettes lors de la réunion francilienne du 14 novembre 2023.
image © Daniel saint-Pierre.
TESTEZ VOS CONNAISSANCES
Les sites volcaniques du monde offrent souvent des paysages naturels vierges, magnifiques et uniques que nous prenons plaisir à découvrir et à parcourir. Les onze maquettes présentées dans cet article voudraient nous faire rêver mais quels phénomènes se cachent derrière ces monstres assoupis ? Quelles sont leurs caractéristiques principales ? Je vous propose de tester vos connaissances avec le quiz volcans.