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  SECTEUR PEDAGOGIQUE
/ Fiche les nuées ardentes

Risques volcaniques

Jacques-Marie Bardintzeff

Les nuées ardentes

Volume, vitesse, température des nuées ardentes

1. Volume

Après la mise en place, les nuées ardentes, qui voient leur gaz s’échapper, s’effondrent sur elles-mêmes. Elles laissent des dépôts gris très hétérogènes, de plusieurs mètres d’épaisseur, constitués de blocs et de lapilli emballés dans une matrice cendreuse.

Une nuée ardente moyenne représente un volume de matériaux de plusieurs millions de m3, correspondant à la dispersion d’une énergie thermique de 1017 J (1024 ergs) et d’une énergie cinétique cent fois plus faible (1015 J).

2. Vitesse

La vitesse dépend à la fois de l'intensite de l'explosion, de la fluidité de la masse en mouvement, de la pente de l'édifice volcanique (en général entre 10 et 15°) et de la différence d'altitude entre le point de départ et celui d'arrivée (dénivellation) pouvant atteindre 3 km. Le rapport entre la distance parcourue par la nuée et la dénivellation s’avère un paramètre caractéristique (Westercamp, 1980; fig. 9.6a). Sheridan (1979) définit ainsi une «ligne d’énergie», ligne théorique qui joint le point de départ de la nuée au point d'arrivée, le long de laquelle la vitesse de la masse en mouvement serait constante et fonction des forces motrices et de frottement. L'extrémité de cette ligne, qui dépend de l’énergie totale (cinétique et potentielle) mise en jeu, indique l'extension maximale de la nuée. La nuée voit, par ailleurs, son déplacement autoentretenu d’une part par les blocs, qui se dégazent, et d’autre part par l’air ambiant absorbé et réchauffé au cours de sa progression.

Figure 1 - Vitesses comparées de quelques nuées ardentes.
Les chiffres indiquent les vitesses en m.s–1.
En trait plein = vitesse moyenne, en tireté = vitesse maximum.
Ces vitesses ont été mesurées sauf (c) = vitesses calculées
(références in Bardintezff, 1985a)

Des vitesses ont pu être mesurées directement par chronométrage dans le cas de nuées de faible ampleur.

Les valeurs moyennes s’échelonnent entre 17 m.s–1 (60 km.h–1) et 50 m.s–1 (180 km.h–1) (fig. 1). La vitesse varie au cours de l’écoulement : Lacroix observe que la vitesse de la nuée augmente après sa sortie du dôme, jusqu’au confluent de la rivière claire, avant de diminuer progressivement.

Dans le cas des nuées paroxysmales, les mesures directes deviennent impossibles, mais d’autres, indirectes, résultent de calculs. Ainsi, Lacroix (1904) estime les vitesses des nuées de la montagne Pelée à 140 m.s–1 (500 km.h–1) environ, à partir du déplacement de gros objets par l’extrapolation de la formule : F = 0,113 SV2 où F est la force nécessaire au déplacement, S la section de l’objet normale à la direction de la nuée et V la vitesse de celle-ci. cette formule n’étant vraie que pour un courant d’air (!) d’une vitesse inférieure à 45 m.s–1, les résultats ne resteront qu’indicatifs.

Le phare de la place Bertin, d’une hauteur de 15 m, d’un diamètre de 4 m et d’une masse de 290 tonnes a été renversé. En prenant F = 290 000 x 2 = 580 000 kg.m (moment de stabilité) et S=62 x 2/3 x 7,5=307 (moment) (62 m2 est la surface du phare exposée, 2/3 un coefficient tenant compte de la surface cylindrique et 7,5 la demi-hauteur pour calculer le moment). Il vient : 131 m.s–1.

La statue monumentale de notre-dame du Bon Port (4 300 kg pour 3,15 m de haut) a également été renversée mais le socle (42,5 tonnes) est resté en place. La nuée avait donc une vitesse inférieure à 156 m.s–1.

Nuée ardente descendant de la Soufriere Hills - Île de Montserrat
février 2010 - Photographie © Pierre Fortin

Francis et Baker (1977) déduisent la vitesse à partir de la hauteur des obstacles franchis à contre-pente par les nuées ardentes. L’énergie potentielle gagnée lors de la descente est transformée en énergie cinétique, puis de nouveau en énergie potentielle lors de la remontée avec, bien sûr, une perte due aux frottements. Lors de la descente : 1/2 mV2=((100 – F)/100).mgh1, (énergie cinétique gagnée) = (énergie potentielle perdue)

Puis, lors de la remontée : mgh2=((100 – F)/100).1/2 mV2 (énergie potentielle gagnée) = (énergie cinétique perdue) (avec m=masse, V=vitesse, F=% de perte d’énergie par friction, de l’ordre de 30 à 40 % pour les écoulements pyroclastiques, h1=hauteur descendue, h2=hauteur remontée). Ce type de raisonnement a permis de calculer des vitesses de nuées d’ignimbrites à 200 m.s–1. Lors de l’éruption de 1980 du mont Saint-Helens, de nombreux résultats chiffrés ont été obtenus par la confrontation de documents photographiques, d’enregistrements sismiques et de calculs thermiques. Malone (in Waitt, 1981) calcule une vitesse maximum à 180 m.s–1 (650 km.h–1) et une vitesse moyenne de 76 m.s–1 (275 km.h–1) sur 5 km.

La décompression explosive d’un dôme de lave peut, à elle seule, engendrer des vitesses de 150 m.s–1, comme observée au mont Saint Helens, et même calculée à 170 m.s–1 (Fink et Kieffer, 1993).

Enregistrement nocturne d'une nuée ardente de la Soufriere Hills
par une caméra infrarouge du MVO (Montserrat Volcano Observatory)
février 2010 - Photographie © Joël Boyer

3. Température

La température de mise en place des nuées ardentes peut également être estimée. La meilleure methode est celle de Maury (1971) à partir de l'examen des spectres infrarouges des bois carbonisés, prélevés au sein des dépôts des nueés et donc a l'abri de l'air. cette méthode s'appuie sur la constance chimique des bois actuels et anciens (environ 50% de carbone, 43% d'oxygène, 6% d'hydrogène et 1% d'azote) impliquant une constance de leurs spectres infrarouges, entre 2 et 10 μm (écrits aussi 5 000 et 1 000 cm–1). La chaleur, en l'absence d'oxygène, provoque une dégradation progressive de la structure du bois : des 200°C, la déshydratation se traduit par la diminution de l'absorption de la liaison O-H (3 300 a 3 400 cm-1). Vers 275-300°C, la destruction de la cellulose et des lignines entrainent la suppression de liaisons C-H et C-O-C. Ainsi, une échelle permet une détermination de températures entre 200 et 500°C avec une erreur inférieure à 50°C. Les valeurs obtenues s'échelonnent entre 300 et 400°C.

Des mesures magnétiques (aimantation thermoremanente partielle) donnent également de bons resultats.

Les nuées ardentes : origines et classifications

Macdonald (1972) distingue trois types de nuées ardentes :
(i) les nuées de type Pelée (peléen), dirigées et associées à une aiguille de lave visqueuse,
(ii) de type Saint-Vincent, verticales à partir d'un cratère ouvert puis s'effondrant en se dispersant largement dans plusieurs directions
(iii) de type Merapi, avalancheuses aux dépens d'un dôme.
Une classification génétique (Bardintzeff, 1985 a et b, 1987) prend en compte deux paramètres chiffrés indépendants :
- le paramètre granulométrique (choisi comme étant la médiane de la fraction cendreuse, c'est-a-dire la fraction inférieure à 2 mm) permet la distinction entre les nuées sensu stricto et les nuées d'avalanche. Les produits des premières, se dispersent selon un angle important (100°) et se déposent sur une grande surface (épaisseur de quelques cm a 2-3 m). Ils sont finement pulvérisés par des explosions particulièrement violentes, comme le montre le paramètre granulometrique. Pour les secondes, les éboulements par gravité se conjuguent à des explosions initiales moins importantes selon un angle faible (10°) et l'ensemble progresse moins loin. L'épaisseur des dépôts est donc supérieure (1 à 15 m). Les fragments restent en moyenne plus grossiers;
- le paramètre morphologique permet de distinguer les fragments de verre d'aspect vacuolaire et temoins d'un magma juvénile (nuée magmatique) et les fragments anguleux issus d'un matériel ancien pulvérisé et temoins d'une éruption phréatique ou phréatomagmatique (explosivité due à la transformation de l'eau en vapeur).

Ces deux paramètres conduisent à distinguer cinq grands types de nuées ardentes :

a) Les nuees d'avalanches, nettement distinguées des nuées ardentes sensu stricto.

Elles sont subdivisées en deux types :

. le type Merapi, ou le dôme (parfois vieux de quelques jours seulement), qui s'écroule, est plus ou moins pulverisé par une explosion phréatique (Bardintzeff, 1984b ; Berthommier et al., 1992 ; revue in n° spécial J. Volc. Geoth. Res., 100, 1-4, 2000). aussi, seuls des verres anguleux y sont décrits. Ce type est également décrit localement à la montagne Pelée (carrière du Trou Congo, Westercamp et Traineau, 1983 a, b). C'est ce type de nuées ardentes, qui a devalé des dômes successifs du mont Unzen au Japon, lors de la crise de 1991-1995, apres la première phase particulièrement meurtrière le 3 juin 1991 (43 victimes dont trois volcanologues). On a denombré 521 nuées ardentes pour le seul mois de septembre 1991 (Yamamoto et al., 1993) et 9 400 pour l'ensemble de la crise.

. le type Arenal (volcan de costa Rica), avec l'écroulement d'un dôme à blocs de lave, dont l'intérieur est encore liquide. En s'éboulant, le dôme libère le magma neuf sous forme de microponces.

b) Les nuées ardentes sensu stricto sont également subdivisées en deux sous-types :

. le type Santiaguito (volcan du Guatemala) : l'importante explosivité de l'éruption est essentiellement due à la richesse en gaz et à la viscosité du magma. Une faible quantité de magma est produite sous forme de microponces;

. les types Pelée (peléen) et Saint-Vincent sont rapprochés car ces deux types d'éruptions sont le plus souvent déclenchés par un mélange de magmas, du magma juvénile sortant en abondance. Il est cependant commode de conserver la distinction de Macdonald entre deux types de nuées. Leur différence dépend en fait essentiellement de la morphologie de l’édifice volcanique lors de l’éruption (cratère ouvert ou obstrué), facteur susceptible de changements. Par exemple, la montagne Pelée, célèbre pour ses nuées péléennes (dirigées en 1902 par l'échancrure de la rivière Blanche, puis par les aiguilles de lave), a été le siège de deux nuées de type Saint-Vincent, il y a 25 700 et 22 300 ans, quand son cratère était largement ouvert (Westercamp et Traineau, 1983b).

Parfois sont décrites des nuées de cendres, qui renferment essentiellement des matériaux fins, d’un diamètre inférieur à 2 mm alors que les nuées de ponces (ou « nappes de ponces », telles que celles du Mont-Dore) contiennent des ponces en grande majorité. Dans tous les cas, l’ensemble est très mal classé, contrairement aux retombées.

Classification des nuées ardentes basée sur la granulométrie d’une part et la morphologie des verres d’autre part (Bardintzeff, 1985a, 1985b, 1987)

Les différents types de nuées ardentes : Montagne Pelée, Soufrière de Saint-Vincent et Merapi (d’après MacDonald, 1972, modifié), Arenal et Santiaguito (Bardintzeff, 1985a, 1985b)
Hachures = dôme solide, triangles = dôme à blocs de laves, pointillés = magma juvénile

Jacques-Marie Bardintzeff
Revue L.A.V.E. n°148 (janvier 2011)
d'après un article tiré de l’ouvrage Volcanologie (4e édition), 2011, de J.-M. Bardintzeff, aux éditions Dunod