Espace Adhérent
Français
Anglais
/ Guy Camus

Hommage à Guy Camus (1941-1999)

par Alain de Goër - octobre 1999

Guy Camus nous a quittés prématurément à l'âge de 57 ans. Ainsi que L.A.V.E. l'a annoncé dans son précédent numéro, il est décédé accidentellement à son domicile samedi 19 juin. Nous étions en train de terminer le livret de présentation du "volcan à ciel ouvert" (puy de Lemptégy), dont Dominique Decobecq donne ici l'analyse.
" Le volcan à ciel ouvert c'était son enfant (pour ma part j'ai attrapé le train en route!), c'est lui qui avait su convaincre l'exploitant du caractère exceptionnel de sa carrière et de l'intérêt que représenterait son aménagement pour recevoir le public, tant scolaire ou universitaire que touristique. 70 000 visiteurs par an c'est effectivement un succés. Guy faisait partie de cette catégorie d'universitaires pour lesquels la vulgarisation et le contact avec le public importait plus qu'un avancement dont il ne se souciait guère. Aussi avait-il adhéré à L.A.V.E. dès sa création, et, outre les excursions qu'il a eu l'occasion de guider pour l'association, il assurait la rubrique "philatélie" - cf. LAVE n° 53, 59, 65 et 72 - l'une de ses distractions favorites, avec le tarot et la course à pied. "

Fils de gendarme, Guy Camus était né le 20 novembre 1941 à St Bonnet-le-Bourg, dans le Livradois (Puy de Dôme), berceau de sa famille. Mais son père ayant été muté dans la région de Grenoble, alors qu'il n'était encore qu'à l'école primaire, c'est à Grenoble que Guy a effectué la totalité de ses études.
Comme beaucoup d'entre nous à cette époque, il était fondamentalement naturaliste, plus que géologue, et se destinait à l'enseignement du second degré. En juillet 1964, il se retrouve le plus jeune agrégé de France de l'année, et nommé pour un an au lycée de garçons de Chambéry.
A la suite de quoi il effectue son service militaire à Issoire (Puy-de-Dôme), qu'il prolonge comme formateur à l'Ecole des Sous-Officiers d'Issoire. Lorsque, sur recommandation de ses anciens professeurs de Grenoble, on lui propose un poste d'assistant à l'université de Clermont, il l'accepte - c'est lui qui l'avouera plus tard - plus pour retrouver son pays, et surtout "sa payse", que par attrait pour l'université et la recherche scientifique.

La seule expérience qu'il avait alors de la recherche était paléontologique, puisqu'il avait effectué un diplome d'Etudes Supérieures sur les ammonites du jurassique supérieur de la montagne de Crussol (Ardèche). Mais pas question de faire de la paléontologie à Clermont (si ce n'est l'enseigner!) de la volcanologie non plus, d'ailleurs.
A Clermont, à cette époque, seuls avaient droit de cité les terrains métamorphiques et granitiques. L'étude des roches volcaniques était tolérée (dans ce laboratoire, depuis plus de vingt ans, tout le monde devait être pétrographe) ...
Ainsi J.Mergoil travaillait-il sur les laves du Velay, ou F. Colin sur les basaltes de l'Aubrac. Mais l'étude des volcans eux-mêmes était laissée aux deux laboratoires parisiens qui s'en disputaient âprement l'exclusivité. Aussi les francs-tireurs de son espèce étaient-ils regardés plutôt de travers !
C'est donc à la stricte condition qu'il accepte de de préparer une thèse sur le socle métamorphique que Guy Camus fut nommé assistant à Clermont le 1er octobre 1967... et il se retrouva immédiatement avec un sujet sur la série du Haut-allier.

Mais le sort en décida autrement. Pierre Bellair, professeur à la Sorbonne et grand maître des Terres Australes Françaises, avait besoin d'un pétrographe pour étudier les roches des îles Kerguelen, et demanda à son ami Maurice Roques - notre « Big Boss » - s'il avait quelqu'un à lui fournir. C'est ainsi que Guy embarqua pour le Grand Sud. Mais il n'y débarqua jamais : après une escale dans le blizzard à Saint Paul, une crise d'appendicite aiguë sur le bateau obligea à le rapatrier d'urgence au Cap... puis à Clermont. Entre temps, le vent avait tourné. On commençait à entrevoir les mérites de la géochimie isotopique à d'autres fins que la mesure du temps, et M. Roques, le père de la géochronologie clermontoise, décida d'explorer cette nouvelle voie en vue d'élucider les mystères de l'origine des magmas. Aussi, à son retour, Guy Camus se vit-il proposer un nouveau sujet : l'étude comparative de la géochimie isotopique des laves de la Comté d'Auvergne (série sodique) et de celles de la chaîne des Puys (série potassique).

Ce petit jeu, qui ne l'amusait guère, ne dura pas longtemps, le spectromètre de masse dont il disposait à Clermont n'étant pas assez performant pour apporter des résultats concluants. Mais bientôt s'offrit à Guy une nouvelle voie. Le BRGM venait d'absorber l'ancien Service de la Carte Géologique de France, et entreprit d'accélérer l'édition de la carte géologique au 1/50 000. Pour des raisons stratégiques évidentes, la feuille de Clermont, qui englobe la majeure partie de la Chaîne des Puys, avait été inscrite parmi les priorités. En même temps, se profilait déjà l'ombre du Parc des Volcans et la volonté des décideurs locaux de protéger et valoriser la Chaîne des Puys, donc de mettre un terme à une exploitation sauvage de la « pouzzolane » qui commençait à éventrer tous les cônes de la chaîne (en y créant d'ailleurs des conditions d'observation inexistantes dix ans plus tôt). Un ingénieur du BRGM, Dominique Baudry, fut chargé d'évaluer les ressources de la chaîne en granulats exploitables. Guy Camus se trouva simultanément mêlé à ces deux opérations, qui convenaient mieux à sa solide formation de terrain reçue à Grenoble. En même temps, était arrivé à Clermont, venant d'Afrique du Nord, un géophysicien interne, Maurice Aubert, qui, bien isolé dans un observatoire où l'on ne se préoccupait que de la formation des nuages, cherchait une collaboration avec les géologues, et plus particulièrement les volcanologues. La Chaîne des Puys devait lui offrir, avec Camus et Baudry, un bon morceau où se faire les dents. Ainsi débuta pour Guy, dès 1969, une longue série de publications qui devait aboutir, le 24 juin 1975, à la soutenance de sa thèse de Doctorat d'Etat intitulée : La Chaîne des Puys (Massif Central français) - étude structurale et volcanologique.

Mais, entre temps, une autre collaboration s'était établie. La communauté volcanologique française (encore restreinte à cette époque où cette branche de la géologie n'avait pas encore acquis ses lettres de noblesse), par la voix de ses deux porte-parole dans les instances internationales : Pierre Bordet et Bernard Gèze, avait dès 1969 émis le souhait que se réalise une « carte volcanologique », un concept thématique nouveau, regroupant toutes les données scientifiques acquises sur notre région-phare, la Chaîne des Puys ; région-phare parce qu'elle avait été l'un des berceaux de la volcanologie mondiale dès la fin du dix-huitième siècle. C'est à ce travail que s'attaquèrent, en équipe et dans une amicale gaieté, quatre compères clermontois : Guy Camus, Guy Kieffer, Jean Mergoil et moi-même. En cours de route, nous Mmes rejoints par Pierre Vincent, fraîchement débarqué d'Afrique avec son poste de professeur pour devenir le leader de l'équipe clermontoise. Et c'est le 13 mai 1972 à Nice, lors de la réunion constitutive de la section spécialisée de volcanologie de la Société Géologique de France, que fut présentée la première maquette de cette carte. Malheureusement elle ne devait réellement voir le jour qu'en 1975, peu avant la soutenance de thèse de Guy, car nous avions perdu deux ans à tirer les cordons de sonnettes pour chercher vainement un éditeur... jusqu'à ce qu'elle soit prise en charge par le Parc des Volcans (créé en 1971). Le succès de cette carte, deux fois remise à jour, ne s'est par la suite jamais démenti.... Ainsi Guy Camus fut-il l'un des acteurs de l'essor de la volcanologie clermontoise dans les années 1970.

Ainsi encore, aux yeux du public clermontois, ce nom de Guy Camus restera attaché à la Chaîne des Puys, dont il a profondément contribué à renouveler la connaissance (et pas seulement volcanologique... car on pourrait aussi parler d'hydrogéologie). Mais il serait bien réducteur de ne voir que cet aspect de son oeuvre scientifique. Car s'il n'abandonna jamais son bébé, et s'il ne quitta jamais son poste à Clermont, il ne devait pas tarder à élargir son cercle d'activité à de nombreux volcans de la planète. Sur un total de 190 titres de publications relevés dans son abondante bibliographie (dont 65 en qualité de premier auteur), 47 sont consacrés à la Chaîne des Puys et 26 à d'autres régions du Massif Central. Mais 51 portent sur l'Indonésie (le Krakatau d'abord, puis le Galunggung et le Mérapi), 6 sur la Turquie, 5 sur le Mexique (Colima), 3 sur les Açores (Capelinhos), 4 sur l'Italie (Vésuve et Champs Phlégréens), sans oublier la Polynésie, Madagascar, la Martinique, les Canaries, Vanuatu et bien d'autres, et 38 titres de portée générale. En donner ici la liste serait fastidieux.

Guy Camus était un volcanologue complet, qui a signé des travaux portant sur tous les volets de cette science. Mais il s'était avant tout fait une spécialité de l'étude des pyroclastites. Il fut notamment, avec Volker Lorenz, l'un des pionniers de la compréhension des maars et des éruptions hydromagmatiques, et c'est lui qui durant une dizaine d'années entraîna toute l'équipe clermontoise dans l'étude de ces phénomènes et des édifices qu'ils engendrent. Plus tard, après l'éruption du Mt St Helens, il réinterpréta avec P. Vincent la célèbre éruption de 1883 au Krakataua, puis étudia avec C. Robin les avalanches de débris du Colima. Et ce fut lui qui, dès 1984, lança l'idée qu'une grande partie des « brèches » cantaliennes représentaient des dépôts d'avalanches de débris de type St Helens... mais cette idée venait trop tôt ; elle fit long feu, et il laissa à d'autres le soin de l'exploiter.

Mais Guy était beaucoup plus qu'un chercheur. Il était homme de communication. Fondamentalement enseignant. Toujours à l'écoute et au service des autres... Même si la formulation n'était pas toujours très claire, c'était « le courant » qui passait. Son bureau était un forum permanent. Une ruche toujours ouverte où ses étudiants pouvaient venir travailler quand ils voulaient. Il leur prêtait sans compter ses affaires et sa documentation... quitte à ne pas toujours les récupérer ; et son ordinateur était à la disposition de tout le monde... quitte à être souvent « planté ». C'était aussi sans compter qu'il leur consacrait son temps... À ses étudiants, mais aussi à ses collègues, aux élèves de ses amis, aux amateurs et à tous ceux qui venaient lui demander des renseignements ou lui extorquer l'organisation d'une visite ou d'une excursion. Disponibilité... c'était sans doute sa qualité première.

Chacun gardera de lui l'image d'un bon vivant, aimant bien boire et bien manger, toujours souriant et prêt à plaisanter. Mais il avait aussi un jardin secret, impénétrable... on ne pouvait jamais lui parler de lui-même. Et il fallait être très proche de lui pour savoir que, depuis quelques années, il n'était plus le même. Yvette, sa femme, était décédée après deux ans de souffrances. Cécile, sa fille, était partie s'installer à l'autre bout du monde, à Tahiti. Et dans son Livradois natal, il voyait ses vieux parents décliner. Même lorsqu'on a beaucoup d'amis, la solitude est lourde à supporter. Depuis deux ans il était soigné pour une dépression nerveuse dont il ne se sortait pas. Mais peu s'en rendaient compte, car jusqu'au bout il aura su conserver sa façade d'homme jovial et ouvert aux autres.

Il est des moments que l'on n'oublie pas. Voici dix-huit mois, étant moi-même à la porte de la mort (heureusement ne l'ai-je pas franchie), sur mon lit d'hôpital je pressentais qui viendrait et qui ne viendrait pas me rendre visite. Et je me disais en pensant à Guy : lui, ne viendra pas... je suis là, dans le service où Yvette est décédée, atteint du même cancer qu'elle, opéré par le même chirurgien... non, c'est un pas qu'il ne pourra pas franchir. Lorsqu'il a pénétré dans ma chambre, il n'avait pas besoin de me parler... je croyais avoir un excellent collègue, j'ai compris tout ce que signifie le mot « amitié ». Guy nous a quittés discrètement, sans prévenir... alors qu'il s'apprêtait à partir en Congé de Fin d'Activité après 39 ans passés au service de l'Éducation Nationale. Comme s'il avait une prémonition, il commençait déjà à trier et distribuer ses affaires et sa documentation. Perdre un complice de travail de trente ans, c'est plus dur que de perdre un frère. Nous avions encore ensemble plusieurs publications en préparation (pour ne pas parler des projets)... j'espère pouvoir les mener à terme.