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Hommage à Pierre Vincent (1927-2014)

par Alain Gourgaud et Frédéric Lécuyer

Pierre Vincent géologue, volcanologue…. Oui, mais aussi aventurier et explorateur ! Après une licence de Sciences Naturelles à la Sorbonne, il se porte volontaire pour participer à la première expédition scientifique française en Terre Adélie depuis 1840 ! Malheureusement pour l’aventurier, cette mission est bloquée par la banquise. Résultat, c’est le retour forcé. Mais c’est l’occasion pour lui de découvrir « scientifiquement », près du cercle antarctique, son premier volcan… De là naîtra sa véritable vocation. La première partie de la carrière de Pierre sera africaine. Dans un premier temps, il va travailler au Service des Mines et de la Géologie pour la carte géologique au 1/500 000e de l’Afrique, essentiellement en Centrafrique et au Tchad. Il sillonne les pistes du Sahel, à cheval et à pied alors que les ânes portent le matériel ! Il lui arrive aussi de prospecter l’or et le diamant… Loin des volcans !

Le Tibesti
Une formidable opportunité va alors s’offrir à lui : lever la carte géologique d’une province volcanique du Tchad peu connue, le Tibesti. Mais entre temps, Pierre s’est marié, et si dans un premier temps sa femme Jeanne-Françoise – JF pour les intimes – l’accompagne dans ces zones désertiques, nous gardons tous en mémoire la photo de JF sur un chameau dans le bureau de Pierre, il effectuera plusieurs missions longues de six mois, avec seulement un guide et quelques chameaux. Toujours prêt pour l’aventure…
En 1960, Pierre soutient sa thèse de Doctorat d’Etat à la Sorbonne sur les volcans du Tibesti. Le jeune docteur est alors recruté à l’Université française par le ministère de l’Education nationale. Mais l’aventurier préfère l’Afrique… Même si s’ouvre à lui une carrière universitaire. Il est alors nommé dès 1961 à l’université d’Afrique centrale à Brazzaville où il deviendra directeur de l’École supérieure des sciences, la future faculté des sciences. En 1965, pour se rapprocher des volcans du Tibesti, il demande et obtient sa mutation à Yaoundé, à l’université du Cameroun où il obtiendra, en 1967, le titre de professeur. Ayant à coeur de présenter ses découvertes à de grands scientifiques, français et étrangers, il organise une nouvelle expédition au Tibesti avec des géologues de renom. Seront du voyage, entre autres, Pierre Bordet, grand arpenteur de la planète, et Giorgio Marinelli, « patron » de la volcanologie italienne. D’observations de terrain en discussions passionnées, diurnes et nocturnes, l’expédition se passe bien, y compris pour Haroun Tazieff encore peu connu à l’époque qui, selon Pierre, a beaucoup écouté et manié la caméra. Malheureusement les bobines rapportées seront inutilisables à la suite d’une erreur de développement !
Durant ce séjour de cinq ans au Cameroun, les recherches de Pierre Vincent sur le Tibesti continuent, mais il s’intéresse aussi aux volcans camerounais, dont le fameux Mont Cameroun. Pendant plus de vingt ans, Pierre a décrypté la géologie de l’Afrique, des déserts du Tibesti aux forêts équatoriales du Cameroun.

L’Auvergne
Au début des années 1970, il reçoit à Yaoundé une proposition du professeur Roques (alors directeur du laboratoire de géologie de Clermont) : développer la volcanologie encore balbutiante à l’université de Clermont-Ferrand. Pierre accepte, orientant ainsi la deuxième partie de sa carrière vers l’Auvergne ! Quand Pierre arrive à Clermont-Ferrand en 1972, il découvre le volcanisme auvergnat et prend la direction de l’équipe de volcanologie de 1974 à 1989. Il s’investit dans le projet de carte volcanologique de la Chaîne des Puys, dont la première édition paraîtra en 1975.
Dans un même temps, Pierre incite l’équipe à s’investir vers une nouvelle thématique, celle du phréatomagmatisme, c’est-à-dire de l’interaction des magmas avec l’eau. Les exemples sont nombreux dans le massif Central, mais aussi aux Açores et en Italie.

Les glissements de flancs
À partir de 1970, Pierre travaille à l’île de La Réunion. Il s’intéresse aussi aux volcans français actifs des Antilles, comme la Soufrière de Guadeloupe et la Montagne Pelée en Martinique. Il devient un peu plus tard conseiller scientifique auprès des Observatoires Volcanologiques Français. Il se rend au Mont Saint Helens, aux États-Unis, peu après l’éruption de mai 1980, ce qui l’a conduit à s’intéresser à la nouvelle thématique, celle des glissements de flancs, en particulier ceux qui ont affecté les grands volcans antillais, mais également le Cantal et les Monts Dore. Les déstabilisations des volcans sous-marins ou des îles volcaniques l’amènent tout naturellement à se pencher sur le cas de l’atoll de Mururoa, site d’expérimentation des armes nucléaires françaises. Cet ancien volcan aurait subi une déstabilisation de flanc. Une polémique s’en suit car le sujet est très sensible. Pierre aura l’occasion d’exprimer son point de vue au niveau international dans de nombreuses conférences où il est invité.
Pierre Vincent travaillera aussi en Indonésie, en particulier sur le Krakatau. Il proposera une nouvelle interprétation de la grande éruption de 1883. Le tsunami aurait été déclenché par un glissement de flanc du volcan. Pendant cette période auvergnate, nombreux sont les « élèves » de Pierre qui ont soutenu des thèses, profitant de son savoir et de sa disponibilité. Il a su orienter l’équipe des années 70-80 vers la volcanologie moderne.

Les cratères d’impact
À l’heure de la retraite, Pierre s’est découvert une nouvelle passion, ou plutôt a re-découvert une passion déjà ancienne : les cratères d’impact de météorites. Il va repartir en Afrique, au Tchad, en Libye, en Égypte. Pierre est d’ailleurs toujours resté en contact étroit avec la communauté pluridisciplinaire des « sahariens », tous amoureux du désert, et dont il ne ratait aucune réunion. Dans le massif Central, il découvre une nouvelle structure d’impact. Il retourne aussi au Tibesti. Encore très actif à 87 ans, Pierre continuait à faire du terrain et travaillait ces derniers jours sur des articles concernant le Tibesti, un retour aux sources, et les pépérites de Gergovie.
Toutefois, Pierre évitait savamment d’avoir un rendez-vous de travail le jeudi après midi car ce moment était réservé à l’entraînement de ping-pong et c’était sacré ! Il s’était aussi mis au tir à l’arc...
Pierre Vincent a été pour tous ses collègues volcanologues, un « animateur » plus qu’un « patron ». Il aimait particulièrement le « terrain » où sa grande sagacité faisait merveille grâce à sa vision exceptionnelle en trois dimensions des phénomènes volcaniques et son art de les présenter ou de les illustrer… « Avec les mains ! » Les longues discussions scientifiques étaient toujours amicales et empreintes de bonne humeur grâce à sa jovialité qui finissait presque toujours par désarmer ses contradicteurs. Nous avons tous également apprécié son optimisme inaltérable, sa grande courtoisie, sa disponibilité, sa chaleur communicative, ainsi que l’odeur de sa pipe. Quant à sa distraction légendaire, elle faisait partie du personnage, un personnage attachant et d’une rare élégance, mot pris ici au sens noble du terme car Pierre Vincent était un homme pourvu d’une rare distinction morale et intellectuelle.

Sélection d’articles de Pierre Vincent

  • Vincent P.M. (1963). Les volcans tertiaires et quaternaires du Tibesti occidental et central (Sahara du Tchad). Mém. BRGM, n° 23, 307 p.
  • Vincent P.M. (1979). Un repère chronologique dans la caldéra des Monts Dore (Massif central français) : les pyroclastites du dôme de la Gacherie. C. R. Acad. Sci., Paris, D, 289, pp. 1009-1012.
  • Vincent P-M., Vatin-Pérignon N., Semet M., Cheminée J.L. (1979). Le dôme de la Soufrière (Guadeloupe) : son âge et son mode de mise en place. C. R. Acad. Sci. Paris, 288, D, pp. 51-54.
  • Vincent P.M. (1980). Volcanisme et chambres magmatiques : l'exemple des Monts-Dore. Livre Jubil. Soc. Geol. Fr., 10 : pp. 71-85.
  • Camus G., Boivin P., Goer de Herve A. de, Gourgaud A., Kieffer G., Mergoil J. et Vincent P.M. (1981). Le Capelinhos (Faïal, Açores) vingt ans après son éruption : le modèle éruptif « surtseyen » et les anneaux de tufs hyaloclastiques - Bull.Volc., 44, 1, pp.31-42.
  • Chevallier L., Lalanne F.X., Bachèlery P., Vincent P.M. (1981). L'éruption du mois de février 1981 au Piton de la Fournaise (Île de la Réunion - Océan Indien). Phénoménologie et remarques structurales. C.R. Acad. Sciences Paris, 293, pp. 187-190.
  • Bachèlery P., Blum P.A., Cheminée J.L., Chevallier L., Gaulon R., Girardin N., Jaupart C., Lalanne F.X., Le Mouel J.L., Ruegg J.-C., Vincent P.M. (1982). Eruption at Le Piton de la Fournaise volcano on 3 February 1981. Nature, vol 297, N°5865, pp. 395-397.
  • Boivin P., Auby R., Bourdier J.L., Goer de Herve A. de, Gourgaud A., Kieffer G., Mergoil J. et Vincent P.M. (1982). Influence de la nature des magmas sur l'activité phréatomagmatique : approche volcanologique et thermodynamique - Bull. Volc., 45, 1, pp. 25-39.
  • Bourdier J.-L., Gourgaud A. and Vincent P.M. (1985). Magma mixing in a main stage of formation of Montagne Pelée : the Saint-Vincent type scoria flow sequence (Martinique, F.W.I.). J.Volcanol. Geoth. Res., 25, pp. 309-332.
  • Vincent P.M. et G. Camus (1986). Origin of the 1883 Krakatau by P.W. Francis : discussion. J. Volcanol. Geotherm. Res., 30, pp. 169-177.
  • Camus G., Gourgaud A., Vincent P.M. (1987). Petrologic evolution of Krakatau (Indonesia). Implications for a future activity. J. Volcanol. Geoth. Res., 33, pp. 299-316.
  • Robin C., Mossand P., Camus G., Cantagrel J.M., Gourgaud A., Vincent P.M. (1987). Eruptive history of the Colima volcanic complex (Mexico). J. Volcanol. Geoth. Res., 31, 1-2, pp. 99-113.
  • Lénat J.-F., Vincent P.M., Bachèlery P. (1989). Sea-Beam mapping of the off-shore continuation of an active basaltic volcano: Piton de la Fournaise (Reunion Island, Indian Ocean). Structural and geomorphological interpretation. Journ. Volcano. Geoth. Research, vol. 36, n° 1-3, pp. 1-36.
  • Vincent P.M., Bourdier J.L. et Boudon G. (1989). The primitive volcano of Mount Pelée : its construction and partial destruction by flank collapse. J. Volcanol. Geotherm. Res., 38, pp. 1-15.
  • Berthommier P.-C., Boudon G., Camus G., Gourgaud A., Lajoie J. Vincent P.M. et Bahar I. (1992). Le Merapi et ses éruptions : importance des mécanismes phréatomagmatiques. Bull. Soc. Géol. Fr., t. 163, pp. 635-644.
  • Morel J.-M., Gourgaud A. et Vincent P.M. (1992). Un épisode hydromagmatique majeur dans l'histoire des Monts Dore (Massif Central Français) : le massif de l'Aiguiller (Massif Central Français). Bull. Soc. Géol. Fr., t. 163, pp. 625-634.
  • Vincent P.M. (1993). La déstabilisation des volcans : une reconsidération de quelques événements cataclysmiques après l'éruption du Mt St Helens, USA. Mém. Soc. géol. Fr., 163 ; A.P.B.G., n° spéc. ; pp. 167-176.
  • Camus G., Gourgaud A., Mossand-Berthommier P. and Vincent P-M. (2000). Merapi (Central Java, Indonesia). An outline of the structural and magmatological evolution with a special emphasis to the major pyroclastic events. J. Volcanol. Geotherm. Res., 100 : pp.139-163.
  • Sen. E., Kurkcuoglu B., Aydar E., Gourgaud A., Vincent P-M. (2003). Volcanological evolution of Mount Erciyes stratovolcano and origin of Valibaba Tepe ignimbrites (Centra Anatolia, Turkey). J. Volcanol. Geoth. Res., 125, pp. 225-246.
  • Gourgaud A., Vincent P-M. (2004). Petrology of two continental alkaline intraplate series at Emi Koussi volcano, Tibesti, Chad. J. Volcanol. Geoth. Res., 129, pp. 261-290.