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/ Alain de Goër de Herve

Hommage à Alain de GOËR de HERVE ( 1937 - 2002 )

Texte publié conjointement par la revue Géologues (revue trimestrielle de l'U.F.G.) et la revue de l'association L.A.V.E.

Le 19 juin 2002, notre ami et collègue Alain de Goër succombait au terme de plusieurs années de combat contre une implacable maladie. Il a lutté jusqu'au bout de sa vie avec acharnement et lucidité. En mars dernier encore, il réunissait à son domicile ses amis de l'Equipe Amicale de Volcanologie de l'Université de Clermont pour organiser l'avenir de notre équipe et préparer la quatrième édition de la carte volcanologique de la chaîne des Puys.
Alain est resté, sa vie durant, fidèle à sa patrie clermontoise et toujours amoureux des paysages volcaniques d'Auvergne. En 1956, nanti du double grade de bachelier en Philo-Lettres et Mathématiques élémentaires, il avait débuté un cursus universitaire de scientifique naturaliste poursuivi brillamment jusqu'à l'agrégation de sciences naturelles (session 1962). Entre-temps, remarqué par ses professeurs, il eut à choisir entre la voie des sciences biologiques et celle des sciences de la Terre. Son goût l'a orienté vers la géologie. En 1960, recruté par le Professeur Roques, il entrait en qualité d'assistant au Laboratoire de Géologie de la Faculté des Sciences. Son penchant pour les sciences de la nature, sa formation universitaire de naturaliste, l'ont conduit vers des enseignements diversifiés de la paléontologie à la géologie historique, la géomorphologie, la géologie des phénomènes glaciaires, des pays volcaniques et la volcanologie.
Sa présence auprès des étudiants, il la partageait, bien volontiers, entre la salle de travaux pratiques et les excursions sur le terrain. Il fut pendant de longues années, au sein de notre laboratoire, l'animateur principal des excursions géologiques et autres travaux d'étudiants sur le terrain. Il mettait généreusement ses connaissances et sa grande expérience à la disposition de ses collègues d'autres enseignements, souvent des amis : soit sur le terrain, soit en conférences soit enfin en dossiers, polycopiés divers toujours très didactiques et bien illustrés.
Il a aussi consacré beaucoup de son temps et de son énergie à la formation de jeunes géologues : stages de terrain et préparations de diplômes et thèses ; c'est là sans doute que son regard de géologue sur les paysages et structures a été le plus bénéfique. Nombreux sont, aujourd'hui dans la profession, ceux qui se souviennent et savent ce qu'ils lui doivent. Là, s'exprimaient pleinement toutes ses connaissances, son entrain et sa convivialité.
Attaché à Clermont, parce que père d'une famille nombreuse, ne pouvant obéir aux nécessités de mobilité géographique d'une carrière universitaire et, sans doute aussi, de par sa forte personnalité et son franc-parler, il n'accéda pas au titre de professeur des universités. Il acheva sa carrière comme Maître de Conférences hors classe en 1997 mais ne cessa pas, pour autant, ses activités de recherche en volcanologie et géologie.
Engagés dans la recherche, avec notre ami Guy Camus, lui aussi trop tôt disparu, nous avons été les jeunes assistants des années soixante que Maurice Roques avait choisis pour favoriser une renaissance des études du volcanisme à Clermont-Ferrand. Alain prépara alors une thèse de doctorat sur un secteur du grand massif volcanique cantalien : la planèze de Saint-Flour. Il s'y consacra avec entrain et ténacité. D'emblée, sa volonté s'exprima, il décida que sur ce secteur, d'apparence monotone, les formes de terrain étaient expressives et dignes d'intérêt. Il présenta sa thèse en deux parties : I - Structure et stratigraphie de la planèze de Saint-Flour, II- Formes et dépôts glaciaires. Cette thèse fut soutenue le 21 décembre 1972. Ensuite, souvent en collaboration avec ses amis de l'E.A.V.U.C., il orienta ses travaux de recherches vers la volcanologie. Ceux-ci portèrent principalement sur la mise en évidence du rôle de l'eau dans les modifications des dynamismes volcaniques - le phréatomagmatisme - en particulier pour les volcans du Massif central. Pour son information et pour communiquer avec la communauté géologique, Alain était souvent présent dans les congrès, séminaires et colloques (AIVCIT, CGI, RAST...) et, lorsque ces manifestations étaient organisées dans notre Massif central, il était toujours volontaire pour en présenter les pays volcaniques à ses confrères. Surtout, il fut l'un des animateurs principaux, avec Guy Camus, pour la production de la carte volcanologique de la chaîne des Puys (première édition 1974) : une cartographie thématique au 1/25 000 accompagnée d'une notice (éditions : Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne). Cet ouvrage était original à l'époque par son thème, sa précision (échelle au 1/25 000) et la densité d'informations présentées. Ce fut un succès en matière d'édition scientifique et grand public. Notre équipe en prépare maintenant la quatrième édition. Soit seul, soit en collaboration, Alain a produit de nombreuses publications qui sont des articles spécialisés dans des revues internationales, nationales ou régionales.
La qualité de ses travaux de cartographie dans le cadre du Service de la Carte géologique du B.R.G.M. témoigne aussi largement de son sens exceptionnel du terrain. Il a été le collaborateur et auteur principal pour la préparation de quatre feuilles au 1/50 000 : Saint-Flour et Chaudes-Aigues dans le Cantal, Nasbinals et Entraygues-sur-Truyère dans l'Aubrac. Il a assuré également les levers des terrains volcaniques pour quatre autres feuilles : Murat (Cantal), Clermont-Ferrand, Besse-en-Chandesse et Veyre-Monton (Puy- de-Dôme). Certaines de ces coupures sont encore en cours d'édition. Toujours dans ce domaine, Alain a apporté sa contribution, pour les formations volcaniques, à la carte géologique de France, à la carte des formations superficielles au 1/1 000 000 et à la carte des risques néotectoniques non éditée à ce jour. Sa grande connaissance géologique des régions cartographiées l'a aussi conduit à participer à la mise en valeur de ressources hydrogéologiques, dans le Cantal notamment.
Alain aimait communiquer, il parlait et écrivait volontiers pour le grand public. Sa participation à la " Promenade au Puy de Dôme " éditée en 2000 par la Bibliothèque municipale et universitaire de Clermont-Ferrand ainsi que son ouvrage (Editions Ouest-France, 1997) : " Volcans d'Auvergne : la menace d'une éruption ? ", montrent combien il savait allier humour et rigueur pour " faire passer le message ". Les associations locales l'ont souvent mis à contribution pour des articles de vulgarisation. Il répondait toujours présent et collaborait volontiers avec des spécialistes d'autres disciplines : archéologie, préhistoire, hydrogéologie...
L'homme était aussi citoyen militant : il avait des convictions fortes et les défendait avec talent et efficacité. Sa grandeur d'âme s'exprimait dans son combat contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples. Son souci de laisser une planète propre à nos successeurs était évident dans sa participation aux nombreuses associations pour la protection de l'environnement dont il animait les débats et suscitait les actions. Récemment encore, il militait pour la mise en valeur et la protection de quelques éléments essentiels du patrimoine géologique de notre région.
Voici notre ami, notre collègue ; mais il a été aussi un père de famille, une famille nombreuse qu'il a assumée en parfaite communauté avec son épouse Marie-Madeleine, enseignante elle aussi en sciences naturelles. Pour l'avoir tant fréquenté pendant plusieurs décennies de vie professionnelle commune, je me souviens de l'importance que la vie familiale avait pour lui.
Ses amis de l'E.A.V.U.C. ont suivi son ultime combat, ont été frappés par sa présence scientifique au cours de leurs ultimes rencontres, sa lucidité et sa grande dignité face à son destin.
Comme ses nombreux amis, je garderai de lui le souvenir d'un homme exceptionnel qui a eu une forte empreinte sur la communauté des géologues.

A Ceyrat, 9 septembre 2002

par J. Mergoil