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Article publié dans la revue LAVE N°193 - mars 2019

L’histoire de la Fournaise racontée par ses pitons

François MARTEL-ASSELIN

Avec plus de soixante-dix éruptions, la toponymie réunionnaise n’a cessé de s’enrichir au cours des quarante dernières années. une spécificité sans doute unique au monde, même si ce ne sont plus les explorateurs qui baptisent les nouveaux cônes volcaniques.

1.  En 1801, Bory de saint-Vincent nomme, décrit et dessine un intrigant « mamelon central » au sommet du piton de la fournaise, dont les dimensions présumées interrogent. Au cours d’une éruption fleuve en 2006, la formation au même endroit d’un spatter cone du même type, a permis de lever les doutes.

        Inutile de rêver d’un cratère à votre nom, à la façon dont on baptise les tempêtes en Europe de l’Ouest. La pratique d’honorer ainsi un proche (ou soi-même) a vécu. Au demeurant, il y a fort à parier qu’il disparaîtra tôt ou tard, englouti par les coulées futures.

        A tout seigneur, tout honneur : les cratères Bory et Dolomieu, nommés lors des expéditions à Bourbon du jeune naturaliste Jean-Baptiste-Geneviève-Marcellin Bory de Saint-Vincent, en 1801, ne devraient pas être rayés des cartes de sitôt. En revanche, un visiteur britannique qui avait, en toute simplicité, baptisé à son nom la « butte Montagu » (1807) a dû blêmir à l’annonce de sa disparition cinq ans plus tard seulement, lors de l’éruption de 1812.

        D’ailleurs, sur un peu plus de trente-cinq pitons volcaniques baptisés depuis les débuts de l’observatoire il y a quarante ans (1979), une dizaine ont déjà disparu ou vont bientôt être effacés du paysage. Mais l’hyperactive Fournaise les remplace au fur et à mesure : ainsi deux nouveaux cônes éruptifs ont été baptisés en 2018 !

2.  Jusque dans les années 70, les cartes indiquent les cônes éruptifs par leur année pour la plupart. source © IGN.

La carte raconte l’histoire du volcan

        La carte du massif du volcan de la Réunion raconte plus de trois siècles et demi de son histoire, depuis les débuts de l’occupation de l’île. Les noms qui y figurent perpétuent la mémoire de ceux qui l’ont parcouru, décrit, étudié avec passion, qu’ils soient esclaves « marrons » (en fuite), chasseurs de Noirs (à leur poursuite), hommes des bois, aventuriers, guides, savants puis scientifiques...

        Plus de deux siècles après le passage de Bory de Saint-Vincent à Bourbon, le touriste retrouve la toponymie initiale fixée dans son Voyage dans les quatre principales îles des mers d’Afrique (1804). A l’intérieur de la caldera qu’il est le premier à avoir explorée en tous sens, du littoral jusqu’au sommet, Bory s’est contenté de nommer les points de repère essentiels à ses yeux ou de reprendre quelques noms déjà consacrés par l’usage local. Si le sien reste attaché au plus élevé des cratères sommitaux (2 632 mètres), il précise que l’initiative en revient à un de ses compagnons. Il nomme quant à lui le cratère Dolomieu, en l’honneur du géologue et minéralogiste dont la nouvelle de la mort lui parvient durant son séjour dans l’île, ainsi que deux ou trois autres édifices et éminences.

La géographie des hommes des laves

        Malgré la publication des textes et cartes de Bory, cette toponymie est longtemps demeurée confidentielle, sans doute restreinte à ses compagnons d’expédition et habitants du pays dont quelques savants. Elle restera figée pendant 150 ans.

        L’ouverture du volcan au tourisme et les prémices du suivi de son activité vont contribuer à organiser son paysage. Sous l’impulsion d’Alfred Lacroix, père de la volcanologie française moderne, venu à la Réunion en 1911 (il en profite pour baptiser la caldera « enclos Fouqué »... en hommage à son beau-père, sommité de la géologie), érudits et curieux locaux s’approprient l’Enclos. À cette époque, visiter le volcan reste une expédition d’au moins trois jours, sous la conduite d’un guide assisté de porteurs pour les vivres et le couchage. En plus des « touristes », des missions montent plusieurs fois par an pour documenter l’évolution du sommet et les éruptions et en rendre compte aux autorités de l’île.

        Les coulées et pitons les plus récemment apparus s’imposent comme des points de repères pratiques pour situer les nouveaux centres d’activité. Et quoi de plus naturel pour désigner ces cratères que les nommer d’après leur année de formation ? C’est en tout cas la pratique qui aura longtemps cours chez les « hommes des laves » auxquels touristes et savants s’en remettent pour parcourir le volcan, une zone presque entièrement minérale de 100 km2.

L’Enclos, désert toponymique

        La première carte officielle de la Réunion, à l’échelle 1:50 000, peu avant 1950, ne se contente pas de perpétuer les lieux déjà nommés par les premiers explorateurs. Dans l’enclos du piton de la Fournaise, l’Institut géographique national (IGN) décline une dizaine de cratères désignés par leur millésime ainsi qu’une poignée d’autres dont les noms ont été glanés auprès des usagers des lieux.

        Aux côtés des cratères 1937, 1939, 1946..., figurent ainsi le cratère Haug, du nom de ce géologue, professeur à la Sorbonne (1861-1927), auquel deux observateurs locaux du volcan et anciens de ses élèves ont voulu rendre hommage à travers la mémorable éruption de 1931; de même pour le cratère Picard, fameux guide du volcan (1900-1978) cité par l’écrivain Roger Vailland dans ses ouvrages sur la Réunion.

        En consacrant un usage savant et un usage populaire, l’IGN franchit donc une première étape dans l’établissement de la toponymie moderne de l’enclos du volcan, géographié par ceux-là mêmes qui le pratiquaient.

1980 : vingt-cinq pitons baptisés d’un seul coup

        Le grand chambardement survient à la fin des années 1970 avec le projet de carte au 1:25 000 de l’IGN. À cette échelle (4 cm pour 1 km), l’enclos du piton de la Fournaise (un vingt-cinquième de la superficie de l’île), occupe un espace plus grand qu’une page de journal tabloïd... mais à peu près vierge alors qu’on recense entre deux et une douzaine de cônes éruptifs par kilomètre carré dans sa partie haute, la plus active.

        Après avoir réalisé une nouvelle couverture photographique de l’île en 1978, l’IGN mène une « mission de complètement » en 1980. Pendant une demi-année, six hommes quadrillent le terrain, traquent l’existence du moindre lieu-dit, relèvent auprès des habitants les appellations en usage.

        L’enclos du volcan, inhabité et peu pratiqué en dehors de l’itinéraire balisé vers le sommet, n’a malheureusement pas beaucoup de secrets à livrer alors qu’il recèle une multitude d’édifices volcaniques. Dans la foulée, une réunion de travail est organisée à l’observatoire volcanologique installé quelques mois plus tôt au 27ème kilomètre de la Plaine-des-Cafres, à laquelle participent Maurice et Katia Krafft, deux férus d’histoire des volcans.

        Le « cratère 1953 » et les autres disparaissent, environ vingt-cinq édifices de l’enclos sont baptisés séance tenante du nom de personnages historiques, de l’époque moderne, voire contemporains et toujours vivants, dont le nom est associé à l’exploration et à la connaissance du volcan de la Réunion. Et les scientifiques de l’OVPF sont dorénavant investis de la responsabilité de nommer les nouveaux cratères dès lors qu’ils atteignent une stature remarquable.

        Aujourd’hui, la dernière édition de la carte IGN disponible (2010) en recense bien plus : près de cinquante-cinq au total. Et encore, un certain nombre de cratères baptisés par l’observatoire n’y figurent pas, pour une raison inexpliquée.

        Le panthéon des cratères de l’enclos, même si cela brise un mythe, n’est donc pas vraiment né de la mémoire collective; il résulte d’une invention de géographes enclins à peupler un espace vide et en perpétuel renouvellement. Et après tout, c’est bien ainsi qu’avait procédé Bory de Saint-Vincent il y a plus de deux siècles.

Pitons, cratères et puys : comment s’y retrouver ?

     Piton, cratère, voire plus rarement le terme puy, ne sont que des variantes utilisées à la Réunion pour désigner le même objet géographique : un cône volcanique né d’une éruption. À la Réunion, où l’homme s’est installé après le milieu du XVIIème siècle, le terme piton prévaut dès 1700. Explorant les hautes plaines centrales de l’île, le gouverneur de Villiers décrit leur abondance sans soupçonner leur origine volcanique.
     L’appellation « cratère » devrait normalement être réservée à la bouche qui se trouve au sommet d’un édifice volcanique, à l’image des cratères Bory et Dolomieu au sommet du cône terminal du Piton de la Fournaise.
     Mais l’usage local a consacré cette acception – hérissant les puristes – et la Réunion compte ainsi une quarantaine de «cratères» qui sont en réalité presque tous des «pitons».
     Mais, pour compliquer le tout, les pitons désignent souvent à la Réunion des éminences remarquables dans le paysage. Du coup, la carte de l’île en affiche pas moins de 250. Néanmoins, depuis ces dernières années, un consensus s’est établi autour de ce terme pour nommer les futurs... cratères.

Dans l’antre du diable

        Maurice et Katia Krafft comptaient à la Réunion une petite équipe d’inconditionnels qui ont écrit avec eux parmi les plus belles heures du piton de la Fournaise

        Le photographe réunionnais Roland Bénard a cosigné deux ouvrages avec le couple Krafft qui le lui a bien rendu en évoquant largement la « bande à Bénard » dans le récit de ses aventures. Une époque bénie mais bel et bien révolue.

        Roland Bénard a le volcan et la photo dans la peau, il tient ça de son père photographe qu’il a accompagné sur les éruptions dès les années 1950, à l’époque où deux ou trois jours de marche sont encore nécessaires pour visiter le piton de la Fournaise, en l’absence de route jusqu’en 1968. Ils sont quelques passionnés d’image à se retrouver au magasin de photo familial, au nombre desquels l’universitaire Alain Gérente, dont on connaît la production cinématographique sur la Fournaise.

     La « bande à Bénard »

        En 1972, après six années de sommeil, le piton de la Fournaise se réveille. Les volcanologues Maurice et Katia Krafft découvrent la Réunion et se lient à cette équipe informelle qui a beaucoup à apprendre à leur contact. Les éruptions s’enchaînent au fil des années et, dans une ambiance festive, les complices se mettent à baptiser les cratères qu’ils voient naître, sans songer un seul instant que le fruit de leurs cogitations passera à la postérité comme ces cratères «Gros Bénard » et «Gérente ».

        Viendra ensuite l’observatoire volcanologique (1979), dont l’arrivée modifie les rapports historiques des Réunionnais avec le piton de la Fournaise, même si entre-temps le tout nouveau Centre universitaire de la Réunion et le service géologique régional (BRGM) ont travaillé sur le volcan.

        Désormais, les communiqués de la préfecture relaient immédiatement ses moindres soubresauts, attirant la foule à son chevet.

        La « bande à Bénard » a laissé un témoignage sans égal, en raison de sa richesse documentaire, sur cette période précédant la surveillance scientifique organisée, une épopée racontée par les Krafft dans l’un de leurs volumes publiés en marge des conférences Connaissance du monde («Dans l’antre du diable», Presses de la Cité). De cette époque, il nous reste des centaines de clichés, des dizaines d’heures de film réalisés par des passionnés... et de nombreux noms de cratères.

Un cratère Tazieff, c’est niet !

     Sept ans avant la création de l’observatoire, l’éruption d’octobre 1972 voit débarquer Haroun Tazieff. Pour marquer le coup, son nom est proposé par des géologues locaux et un « cratère Tazieff » figure bien sur leur carte des éruptions de 1972. Las ! En 1980, Tazieff est recalé sans appel lorsque l’IGN consulte l’observatoire pour fixer le nom des cratères : entre-temps, la polémique de la Soufrière en Guadeloupe (1976) l’a brouillé pour toujours avec l’Institut de physique du globe de Paris.

2.  L’emblématique piton Kapor (mars 1998), actif pendant plus de six mois, premier d’une longue série de baptêmes inspirés à l’OVPF par référence aux cultures de la réunion

3.  Le cratère Bonnet (1976) a été nommé spontanément par ceux qui l’ont vu naître, d’après sa forme évoquant un bonnet phrygien. Le nom a été conservé sur les cartes de l’IGN. toutes les images © françois Martel-Asselin.

Un panthéon aux couleurs de l’île

        Baptiser les nouveaux cratères est longtemps resté une préoccupation accessoire

        Une demi-douzaine de pitons à peine ont été nommés au cours des vingt premières années de l’existence de l’OVPF, contre près de trente au cours des vingt suivantes. Thomas Staudacher, directeur de l’observatoire de 1996 à 2009, en a baptisé une vingtaine à lui tout seul. « J’ai voulu qu’on arrête de faire du volcan un cimetière, avec tous les morts qu’il y avait déjà là-haut, relève-t-il. Je voulais des noms qui se rapportent à la réunion. » Malgré quelques concessions, il en résultera un panthéon aux couleurs de l’île et de l’océan Indien, inspiré pour l’essentiel par des personnages populaires ou la culture des différentes communautés.

        Plus simple qu’à Hawaï

        La « tradition » de baptiser est donc récente. Elle n’a même été réellement formalisée qu’en 2015, sous l’impulsion du Parc national de la Réunion (créé en 2007), ravivée après quatre années de silence du volcan.

        Depuis, observatoire volcanologique, Parc national et Cité du volcan se concertent pour proposer des noms, rendus publics rapidement. Cela se passe beaucoup plus simplement qu’à Hawaï où un tel événement est moins fréquent et nécessite la consultation des communautés locales traditionnelles, pour éviter tout impair.

        A la Réunion, pour autant, les familiers des éruptions ont tôt fait parfois de baptiser eux-mêmes les nouveaux cratères qu’ils voient naître, de façon très imagée. Le « cratère la Galère » (en 1990, une éruption perturbée par une météo quasi cyclonique) en est l’illustration.

        En 2004, les « pitons Bord de mer » feront la une. Un tunnel de lave alimente la nouvelle plate-forme littorale, dans lequel l’eau de mer s’engouffre et, instantanément vaporisée, provoque des explosions qui crèvent la voûte du tube et construisent deux cônes trapus, un phénomène qui n’avait jamais été décrit à la Réunion.

        En 2006, événement exceptionnel en soi, la neige se met à tomber dru sur le massif du volcan, dans la nuit du 9 au 10 octobre, alors que le volcan est en éruption depuis le 30 août, une telle conjonction n’ayant pas été observée depuis 1839 semble-t-il. Surprise : un second évent apparaît en même temps. Ce sera bien sûr le « piton la neige ».

        Les noms officiels de ces trois cônes éruptifs ont été oubliés, seul leur nom d’usage est resté.

        De tout temps, les usagers de lieux comme le volcan ont procédé ainsi, avec leur vocabulaire propre, à l’écart des nomenclatures officielles.

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