Thématique ... Découverte
Article publié dans la revue LAVE N°214
Moluques du Nord, volcans Ibu et Dukono
Sylvain CHERMETTE (80 Jours Voyages)
& Pierre GONDOLFF
[ Après une réouverture tardive de l’indonésie post-covid, il a fallu attendre 2023 pour enfin revenir aux Moluques du Nord. Ce nouveau séjour a permis de comparer l’évolution de ces deux volcans dukono et ibu après ces quelques années où il était impossible de s’y rendre.
C’est en octobre, qu’un groupe de clients passionnés, accompagné par Sylvain chermette de l’agence 80 Jours voyages, est parti pour un séjour de trois nuits sur chacun des deux volcans les plus actifs des Moluques du Nord. ]
Figure 1. Carte de localisation des volcans Dukono et Ibu dans le contexte géodynamique des Moluques.
Le contexte tectonique
Les Moluques du Nord sont une région géologiquement complexe, avec plusieurs arcs volcaniques actifs, des fragments d’arcs volcaniques anciens, des micro-continents, et de profonds bassins de croûte océanique.
C’est sur Halmahera que se situent les deux volcans que nous avons visité. Cette région du Nord de l’Indonésie est sous la pression de la plaque tectonique des Philippines au Nord-Est. La partie Ouest correspond à la mer des Moluques, où la croûte océanique subit une subduction dans deux directions : sous Halmahera à l’Est et l’arc Sangihe à l’Ouest.
On peut considérer que l’arc volcanique de Sangihe correspond à l’alignement volcanique du Sulawesi ( Karangetang, Lokon, Soputan, pour ne citer que les plus actifs ).
On identifie aisément l’arc volcanique actif des Moluques en suivant l’alignement des volcans en éruption ou aux éruptions récentes ou régulières. Du Nord au Sud on distingue les volcans Dukono, Ibu, Gamkonora, Gamalama (Ternate) et Makian. Cet alignement correspond parfaitement à la zone de subduction de la mer des Moluques sous Halmahera.
La plaque tectonique de la mer des Moluques est un exemple rare d’une plaque océanique qui disparait. En effet, à l’Ouest, elle plonge sous la fosse/arc de Sangihe et à l’Est sous la fosse/arc Ouest de Halmahera. Or cette plaque ne possède pas de rift contrairement à ce que l’on rencontre habituellement entre deux zones de subduction, c’est pourquoi on parle de zone de collision de la mer des Moluques. Sur une échelle de temps géologique, nous assistons donc à la disparition de cette mer. Autrement dit, la majeure partie de la croûte océanique de la mer des Moluques a, en réalité, déjà été « consommée », et le plancher de cette mer est une zone de collision d’arcs en cours.
Figure 2. Schéma de la disparition de la plaque océanique de la mer des Moluques.
D’après Laura E. Clor et al. (2005).
Le volcan Dukono
Sur les temps historiques, le volcan Dukono est l’un des volcans les plus actifs d’Indonésie. C’est un complexe volcanique présentant un profil large et bas avec de multiples cratères qui se chevauchent. Le cratère Malupang Wariang, situé à 1 km au Sud-Ouest du complexe, contient un cratère de 700×570 m qui est le seul cratère actif connu de l’époque historique.
Sa première éruption historique date de 1550 d’un indice d’explosivité de 3 (VEI 3), cette éruption fut marquée par une importante explosivité, mais également par la présence de coulées de lave. C’est au cours de cette éruption qu’une coulée de lave a comblé le détroit entre Halmahera et le cône nord du Gunung Mamuya.
Des victimes et des dégâts sont mentionnés dans les archives, mais les détails restent inconnus. D’autres éruptions d’une intensité plus faible ont eu lieu en 1719, 1868 et 1901.
L’éruption en cours s’inscrit dans la durée puisque le volcan est en éruption continue depuis 1933. Ces dernières éruptions, dont celle en cours, ont été principalement de type explosive mais ont également engendré d’occasionnelles coulées de lave, mais plus régulièrement des lahars.
Les rapports concernant ce volcan isolé situé au nord de Halmahera sont rares, mais en 1978, des volcanologues avaient observé des bombes volcaniques mesurant jusqu’à 4 m qui furent projetées jusqu’à 250 m du cratère. Un nuage de cendres s’élevait jusqu’à 10 km au-dessus du cratère, avec des cendres transportées jusqu’à 15 km de distance entre des périodes de calme de 6 à 8 heures.
Bien que l’éruption soit plus ou moins continue depuis 1933, il semble avoir connu une période plus calme dans les années 90. à l’inverse, une activité strombolienne/vulcanienne est quasi continue depuis 2003, avec des phases éruptives plus intenses.
Certains paroxysmes peuvent produire des panaches dont les cendres couvrent la région sur plusieurs kilomètres de rayon, parfois jusqu’à la ville de Tobelo (50 000 habitants) située à 15 km du volcan. Ce type d’évènement a notamment été rapporté en mars 2003, mai 2008, mai 2012 et 2014.
1. Le cratère du Dukono vu depuis un drone.
Image © Sylvain Chermette.
Accès et observations
Bien que la première partie à travers les plantations se fasse en 4×4, l’accès au volcan nécessite une journée de trek en grande majorité à travers la forêt. Notre camp se situait plus ou moins au pied du dernier cône, le cratère actif Malupang Wariang. C’est de là que nous sommes partis chaque jour, pour 1h/1h30 d’ascension, jusqu’à la lèvre du cratère actif qui nous offrait un spectacle unique en particulier au lever du jour et à la tombée de la nuit.
En effet, debout au bord du cratère notre regard plonge sur les deux ou trois évents actifs, qui dégazent violemment arrachant au conduit éruptif de larges lambeaux de lave qui retombent dans le cratère profond. Ces bombes qui sont projetées jusqu’à notre hauteur (mais au-dessus du cratère) et lors des explosions les plus violentes passent parfois au-delà de la lèvre sur l’autre versant. Au-delà de l’observation visuelle, ce fut une expérience unique de vivre la violence de cette éruption. Le bruit est quasi insoutenable et le sol vibre sans cesse sous nos pieds.
Trois jours et trois nuits sur place nous ont offert de nombreuses opportunités d’observer l’éruption de nuit comme de jour. Ce temps disponible n’est pas un luxe car il faut parfois s’adapter à une météo capricieuse (même en saison sèche), mais également au sens du vent qui ne pousse pas toujours l’important panache du côté le plus favorable pour permettre les observations. Tout le groupe gardera un souvenir magique de ce moment unique où l’on a la sensation d’avoir été en symbiose avec le volcan.
2. Cheminement dans les barrancos du Dukono.
Image © Sylvain Chermette.
3. Les évents actifs au fond du cratère du Dukono.
Image © Sylvain Chermette
4. Explosions des évents actifs du cratère Dukono.
Image © Sylvain Chermette
Le volcan Ibu
Le sommet tronqué du stratovolcan Ibu, situé le long de la côte Nord-Ouest de l’île de Halmahera, au Sud du Dukono présente un cratère, d’une largeur de 1 km. Historiquement il a abrité plusieurs petits lacs de cratère (des lacs d’eau !). Le cratère est ouvert au nord, formant une vallée aux parois escarpées.
La première éruption observée et enregistrée fut une petite explosion du cratère sommital en 1911. La première éruption, depuis 1911, a repris le 31 décembre 1998. Des explosions ont créé une colonne de gaz et de cendres qui s’est élevée à 1 000 m au-dessus du sommet.
Des retombées de cendres, jusqu’à 3 mm d’épaisseur ont été signalées à Tugure Batu et dans les villages environnants. Le 5 janvier, une autre éruption a duré 60 min. Les habitants ont signalé qu’une coulée de lave avait atteint le bord inférieur du cratère le 16 janvier 1998.
A partir de cette période, sans qu’on puisse la dater précisément, l’extrusion du magma a commencé avec la construction d’un dôme de lave qui a fini par recouvrir une grande partie du sol du cratère sommital, accompagné d’émissions continues de cendres explosives. Le premier rapport, qui fait référence à un dôme recouvrant le plancher du cratère, date de mai 2000 !
Depuis 1998, un à trois dômes actifs sont apparus dans le cratère. Ces dômes grossissent par extrusion du magma et finissent souvent par se chevaucher. Ce magma visqueux, composé principalement d’andésite, forme un dôme qui explose très régulièrement plusieurs fois par jour de façon plus ou moins intense. Par ailleurs, au fur et à mesure de leur croissance, ces dômes laissent parfois échapper des coulées de lave visqueuse qui avancent principalement par avalanche de blocs et remplissent peu à peu le cratère. Le cratère étant ouvert au Nord, régulièrement des coulées s’échappent dans la pente du volcan.
Lors de nos observations en octobre 2023, un seul dôme était actif et avait largement « dévoré » les autres. Les explosions n’étaient pas régulières et d’une intensité variable. Le dôme 2023 est maintenant très imposant et son altitude flirte avec celle du sommet de la caldeira. Si l’activité reste stable, on peut supposer que le sommet du volcan sera très prochainement le dôme actif !
Les explosions du dôme sont généralement associé à un fort dégazage qui produit régulièrement un panache de plusieurs centaines de mètres de haut plus ou moins chargé en matériaux et qui s’étire au gré du vent.
5. Le dôme 2023 dans le cratère de l’Ibu, photographie réalisée depuis un drone.
Image © Sylvain Chermette.
6. Explosion du dôme 2023 dans le cratère de l’Ibu, depuis un drone.
Image © Sylvain Chermette
7. Explosion du dôme 2023 dans le cratère de l’Ibu, depuis un drone.
Image © Sylvain Chermette
Accès et observations
Comme pour le Dukono, l’observation de l’Ibu se mérite. Bien que la première partie soit faite en 4×4 dans les plantations, il reste une journée de trek pour rejoindre le camp en bordure de caldeira. Si le trek est aussi difficile que pour le Dukono, l’avantage est que le camp correspond également à notre zone d’observation. En effet, idéalement situé sur le cratère, il offre un panorama direct sur le dôme de lave et ses explosions.
Nous resterons également trois nuits et trois jours pour profiter pleinement des observations et saisir un maximum d’explosions. Situé dans une région humide, même en saison sèche, cette année le volcan est resté plus d’une journée entière dans le brouillard. L’évaporation de l’humidité sur les flancs du volcan fortement végétalisés créait un nuage de brouillard que le vent rabattait sur le cratère.
Cette journée d’attente a suscité un grand soulagement lorsqu’enfin le beau temps est revenu mais confirme que le choix de rester trois jours sur place est plus que judicieux !
8. Explosions au volcan Ibu, le 11 octobre 2023.
Image © Sylvain Chermette
9. Explosions au volcan Ibu, le 11 octobre 2023.
Image © Sylvain Chermette
Observations personnelles
Les volcans des Moluques du nord (Dukono et Ibu) sont des volcans qui se méritent !
Les ascensions sont rudes, mais, une fois sur place, on est au plus près d’eux et le spectacle est au rendez-vous... Un déchaînement de bruit, de gaz, d’explosions,... nous fait vivre une expérience peu commune.
Après quelques 20h d’avion, une traversée en bateau rapide et un trajet en voiture 4×4, nous arrivons enfin au village de Jailolo. Les volcans nous attendent. Nous profitons d’un peu de repos avant les efforts en perspective...
Au sein de notre petit groupe, quelques personnes, dont notre accompagnateur Sylvain évidemment, connaissent déjà ces deux volcans pour avoir réalisé plusieurs fois leurs ascensions... Sans vraiment rien nous dévoiler, ils nous font part de leurs expériences respectives et nous rendent impatients d’assister au spectacle !
Le grand jour est arrivé. Nos porteurs, sans qui rien est possible, se répartissent les charges (nos sacs, avec le strict nécessaire, le matériel photo des pros, la nourriture pour trois jours, et surtout beaucoup d’eau... ).
La température, en journée, assez élevée (~30 °C) et l’humidité ainsi qu’un dénivelé conséquent et une pente raide sur la fin, font qu’il faut avoir une forte motivation pour arriver au sommet ! Mais ce n’est pas un problème pour les volcanophiles que nous sommes. De plus, l’ascension du Dukono se fera essentiellement de nuit. Les organismes seront donc un peu ménagés.
Les conditions seront, a peu de choses près, les mêmes pour les deux volcans. C’est par des grondements impressionnants que nous serons accueillis sur le Dukono. Le camp n’est pas très éloigné du cratère, mais il faudra encore marcher un peu pour jeter un oeil au fond.
Etant donné que nous campons trois jours sur place, il est possible d’y retourner plusieurs fois suivant la motivation et/ou les conditions au sommet (la météo, les gaz,...).
Sur la lèvre du cratère, le bruit engendré par le dégazage incessant des bouches actives est assourdissant. Par moment, il est impossible de se parler... Mais le spectacle est au rendez-vous !
Lors de l’ascension de l’Ibu, de grosses explosions se feront également entendre et l’arrivée sur la lèvre du cratère en longeant le dôme-coulée signe la fin de nos efforts. Nous sommes arrivés au camp, idéalement situé, à quelques 450 m du dôme principal. Au premier rang pour assister aux éruptions.
Un peu de frustration les deux premiers jour car le brouillard, comme expliqué ci-dessus, nous cachait la vue. Bref, le son mais pas l’image...
Pelé nous a quand même offert de belles explosions le dernier jour et la dernière nuit nous permettant de quitter le camp sans regret après un dernier petit-déjeuner avec vue panoramique sur le cratère.
10. Explosion au volcan Ibu, le 11 octobre 2023.
Image © Sylvain Chermette
11. Lieu de campement idéal à l’Ibu.
Image © Sylvain Chermette
Références bibliographiques
– Pascal Blondé (2012) : Sur les volcans des îles aux épices, Moluques, indonésie du Nord. Revue LAVE 158.
– Sylvain Chermette (2016) : Volcans et éclipse totale aux Moluques du Nord. Revue LAVE 182.
– Clor, L. E., T. P. Fischer, D. R. Hilton, Z. D. Sharp, and U. Hartono (2005), Volatile and N isotope chemistry of the Molucca Sea collision zone : Tracing source components along the Sangihe Arc, Indonesia, Geochem. Geophys. Geosyst., 6.
– J. T. Van Gorsel (2018) : Bibliography of the geology of indonesia and surrounding areas, Smithsonian Institution’s Global Volcanism Program (GVP).
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Après une réouverture tardive de l’indonésie post-covid, il a fallu attendre 2023 pour enfin revenir aux Moluques du Nord. Ce nouveau séjour a permis de comparer l’évolution de ces deux volcans dukono et ibu après ces quelques années où il était impossible de s’y rendre...